La maison disputée où vécut Antoine Gizenga
La justice congolaise la remet à son propriétaire, l’ex-DGA de l’ex-BCDC.
Elle a beau être lente et, souvent voire trop souvent dans nos pays d’Afrique, elle a beau être soumise aux ordres – c’est le mot – du plus fort – l’homme qui détient le pouvoir, qui manipule l’argent -, il arrive un jour où la justice est dite quand la partie qui réclame ne lâche pas prise.
Directeur Général Adjoint de la défunte BCDC, la Banque Commerciale du Congo, André Bweyasa wa N’Siamu ne manquait pas le pouvoir, donc l’influence, mieux, les moyens pour agir et peser devant les tribunaux congolais…
Sauf qu’il avait affaire à plus gros que lui : le Premier ministre, Chef du Gouvernement du pays, de 2006 à 2008. Une personnalité d’histoire !
Antoine Gizenga Funji, le compagnon du tout premier chef du Gouvernement du Congo, au sortir de l’Indépendance, Patrice-Emery Lumumba. Parti en exil de longues années, retourné au pays épuisé, toujours opposant, contestant le très craint Président Joseph Kabila, lui ayant tenu tête avant d’en devenir l’allié, son Premier ministre !
IL DEFEND SES DROITS QUOI QU’IL ADVIENNE.
Cela n’empêche pas André Bweyasa wa N’Siamu d’ester contre lui, devant les tribunaux congolais, de ne lâcher jamais prise, de gagner trois jugements, à ce jour : deux en Grande Instance, une à la Cour de Cassation après que l’un des patrons de la deuxième banque commerciale du pays eût « miraculeusement » perdu en appel devant Gizenga, alors en vie, qui s’y était pourvu pour tenter de sauver les meubles !
Le premier jugement, Bweyasa le gagne le 15 février 2012 en Grande Instance au tribunal de Matete. Six ans après qu’il a acquis cet immeuble, avenue Cannas, au n°466, dans la commune de Limete, à Kinshasa.
S’il n’est plus Premier ministre, après 21 mois à la tête du Gouvernement, Gizenga conserve son influence dans le pays.
L’homme qui lui succède à la Primature, le 10 octobre 2008 et ne la quitte que le 6 mars 2012, est Adolphe Muzitu Fumunji, membre de son parti – le Parti Lumumbiste Unifié – qu’il a lui-même désigné à ce poste quand il démissionne le 26 septembre 2008 invoquant, dans un message télévisé, «le poids de l’âge, le corps qui a ses limites dont il convient de tenir comptes même si l’esprit peut encore être sain et alerte ». Il a alors 83 ans…
Le tribunal de Matete statue au fond sous RC. 24.961. Il confirme et déclare bonne et valide la vente de l’immeuble de l’avenue Cannas, effectuée le 6 avril 2006 par son propriétaire Placide Lengelo Muyangandu au bénéfice de Bweyasa, tout comme la validité du certificat d’enregistrement que brandit Bweyassa, établi le 13 avril 2006 (volume AMA 67 Folio 32) couvrant la parcelle.
Décédé le 2 juillet 2007, Placide Lengelo Muyangandu a été ministre des Postes et Télécommunications du Gouvernement Lunda Bululu, en 1990, puis, l’année suivante, ministre des Affaires sociales du Gouvernement Mulumba Lukoji. Homme d’affaires, originaire du territoire de Gungu comme Gizenga, Lengelo avait accueilli Gizenga en frère et avait mis sa maison à la disposition de celui qui était revenu dépourvu d’un long exil, puis l’a vendu à Bweyasa, un an avant sa mort.
Nommé Premier ministre, Gizenga a quitté cette maison pour prendre les clés de la résidence officielle du Chef du Gouvernement dans la commune de Kintambo.
Bweyasa en profite pour effectuer des travaux de rénovation.
Mais Gizenga qui apprend que la maison qui l’avait abrité à son retour d’exil a été vendue par son propriétaire, s’y oppose. Invoquant une « attache particulière » avec cette maison, il ne veut la garder. Il fait intervenir des forces de l’ordre, obtient l’arrêt des travaux, fait partir les ouvriers tout en faisant remettre 200.000 $US à l’acquéreur pour le désintéresser sans que cette somme remise à son épouse Anne Mbuba n’arrive à destination.
Bweyasa aurait-il accepté cet arrangement ? La question ne semble aujourd’hui d’aucun intérêt dès lors que Bweyasa n’a qu’un souci : faire agir la justice et rentrer dans ses droits.
Le jugement rendu le 15 février 2012 (Gizenga est alors en vie) annule le certificat d’enregistrement (volume AMA 80 Folio 139), établi le 23 novembre 2007 en faveur de Antoine Gizenga, ordonne le déguerpissement de l’ancien Premier ministre et de quiconque résiderait dans cette parcelle.
Mais Gizenga ne l’entend pas de cette oreille. Il va en appel et sous le jugement RCA 8103, le tribunal rend le 27 mai 2014 un arrêt qui annule le jugement RC. 24.961, déclare irrecevable l’action originaire de Bweyasa sous RC.24.961, mais invoque un défaut de qualité d’ester en justice de la part de celui qui est alors Directeur Général Adjoint de la BCDC.
Raison invoquée : le titre de propriété (certificat d’enregistrement) que Bweyasa détient aurait été annulé… Par qui et comment ?
La réaction du puissant banquier ne se fait pas attendre. Bweyasa se pourvoit en cassation (RC. 178/RC.3896) et, en mai 2019, la Haute Cour lui donne raison au D-GA de l’ex-BCDC, casse la décision de la Cour d’Appel, renvoie les parties au premier jugement de 2012.
Extrait de l’arrêt de la Cassation : « En tant qu’il vise les dispositions de l’article 1er de l’ordonnance du 14 mai 1886 sur l’application des principes généraux du droit, notamment celui de l’antériorité des titres (…), les juges d’appel ont méconnu l’antériorité du certificat d’enregistrement volume AMA Folio 32 du 13 avril 2006 du demandeur et lui ont nié ainsi la qualité d’agir en justice alors que celle-ci procède non pas des titres détenus mais plutôt de l’arrêt à recouvrer par voie judiciaire ses droits immobiliers ». Un arrêt qui vide le conflit immobilier qui oppose Bweyasa à Gizenga décédé trois mois plutôt, le 24 février 2019.
VEUVE GIZENGA FAIT DU DILATOIRE RIEN MOINS.
C’est désormais face à la veuve Gizenga, née Anne Mbuba, que Bweyasa se trouve. Mariée sous le régime de la communauté universelle des biens, la veuve introduit une action en tierce opposition (RC 33.113) au tribunal de Matete, s’oppose à l’exécution du jugement de la Cassation. Elle obtient un jugement avant-dire droit lui accordant la surséance à l’exécution de la première décision de 2012. Mais elle brandit non le certificat d’enregistrement annulé par la Cassation (volume AMA 80 Folio 139 du 23 novembre 2007) mais un autre délivré en période suspecte, l’affaire étant devant les tribunaux, soit en 2014 (volume AMA 132 Folio 98).
La veuve Gizenga ne manque pas d’argument. Elle fait valoir que ce nouveau certificat d’enregistrement a été délivré en remplacement du premier qui datait du 23 novembre 2007 mais annulé pour cause de perte ! Du dilatoire ?
Bweyasa ne laisse pas prise. Le 19 mars 2021, il introduit une nouvelle action (sous RC 34.258) devant le même tribunal de Matete, attaque frontalement la veuve Gizenga.
Une assignation en annulation d’un certificat d’enregistrement, en déguerpissement et en dommages-intérêts outre une ordonnance d’abréviation de délai.
En cause désormais : André Bweyasa wa N’Siamu, demandeur, résident au n°4, de l’avenue Incal, Quartier Kingabwa, commune de Limete contre Anne Mbuba, défenderesse, résident à Mashita-a-Gizungu, Quartier Buma, commune de la N’Sele.
Les conseils de Bweyasa, trois avocats (Victor Mpela, Manzala Nimanga, Joseph Manzala et Manzenga, des barreaux de Gombe, Matete et Kongo Centrala) font face à ceux de Mme Mbuba (Osé Kuyindama, Kimbanga et Théophile Kimbamba, des barreaux de Matete et du Kwilu).
L’équipe de Bweyasa réclame l’annulation du certificat d’enregistrement brandi par Anne Mbuba, son déguerpissement et celui des personnes qu’elle loge, jouissant de ce bien, en collectant des loyers depuis 2014.
« Attendu que le Tribunal de céans, statuant au fond sous RC.24.961 dans la cause entre parties André Bweyasa wa N’siamu Vs Antoine Gizenga a, en date du 15 février 2012, rendu son jugement confirmant et déclarant bonne et valide la vente d’immeuble du 6 avril 2006 advenue entre Monsieur Placide Lengelo Muyangandu et mon requérant ainsi que la validité du certificat d’enregistrement établi le 13 avril 2006, Volume AMA 67 Folio 32 en faveur de ce dernier et couvrant l’immeuble situé à Kinshasa, avenue Cannas n°466, Commune de Limete ; que par ce même jugement, il annulait le certificat d’enregistrement volume AMA 80 Folio 139, établi le 23 novembre 2007 en faveur de Monsieur Antoine Gizenga et ordonnait son déguerpissement et de quiconque résiderait de son chef dur ladite parcelle ; que sur appel de ce jugement par Monsieur Antoine Gizenga, la cour d’Appel de Kinshasa/Matete, statuant sous RCA 8103 rendit en date du 27 mai 2014 son arrêt qui annulait le jugement RC.24.961 ci-dessus et déclarant irrecevable l’action originaire de mon requérant sous RC.24.961 pour défaut de qualité dans son chef ; que la Cour de Cassation, saisie par mon requérant de sa requête introductive de pourvoi contre l’arrêt RCA 8103 sus évoqué rendit en date du 29 mai 2019 sous RC.178/RC.3896 son arrêt qui casse sans renvoi l’arrêt RC.8103 rendu par la cour d’Appel de Matete le 27 mai 2014 ; que motivant son arrêt, la Cour de Cassation déclare : « En tant qu’il vise les dispositions de l’article 1er de l’ordonnance du 14 mai 1886 sur l’application des principes généraux du droit, notamment celui de l’antériorité des titres, (…), les juges d’appel ont méconnu l’antériorité du certificat d’enregistrement volume AMA Folio 32 du 13 avril 2006 du demandeur (ici mon requérant) et lui ont nié ainsi la qualité d’agir en justice alors que celle-ci procède non pas des titres détenus mais plutôt de l’arrêt à recouvrer par voie judiciaire ses droits immobiliers » ;
BWEYASA GAGNE POUR LA TROISIEME FOIS.
Que par cet arrêt de la haute Cour était vidé l’action immobilière qui opposait mon requérant à Monsieur Antoine Gizenga et c’est donc non sans surprise que Madame Anne Mbuba, ex pipant sa qualité de veuve du défunt auquel elle était mariée sous le régime de la communauté universelle des biens formera sous RC.33.113 devant le Tribunal de céans une tierce opposition contre le jugement RC.24.961 pré rappelé en brandissant non pas le certificat d’enregistrement volume AMA 80 Folio 139 du 23 novembre 2007 dont l’annulation avait été entérinée par la Cour de Cassation mais un autre certificat obtenu en fraude aux droits de mon requérant et délivré in tempore suspecto et donc en cours d’instance soit 2014 sous volume AMA 132 Folio 98 ; que ce dernier certificat d’enregistrement Volume AMA 132 Folio 98 aurait été délivré en remplacement du premier certificat Volume AMA 80 Folio 139 délivré en date du 23 novembre 2007 prétendument annulé pour cause de perte ; que la cour d’Appel de Kinshasa/Matete ayant déclaré mon requérant dépourvu de qualité, la Cour de Cassation a tranché que les juges d’appel ont méconnu l’antériorité du certificat d’enregistrement de mon requérant et lui ont dénié la qualité d’agir en justice et son intérêt à recouvrer par voie judiciaire ses droits immobiliers ; qu’il est ainsi entendu que le certificat d’enregistrement volume AMA 132 Folio 98, du 23/11/2007 brandi par Madame Anne Mbuba dans l’instance en tierce opposition sous RC.33.113 devant le Tribunal de céans sera annulé ; qu’ayant mis mon requérant dans l’impossibilité d’exécuter le jugement RC.24.961 entériné par l’arrêt de la Cour de Cassation et ainsi recouvrer ses droits réels immobiliers sur son immeuble à travers des actions dilatoires Madame Anne Mbuba a causé et continue à causer préjudice à mon requérant ; qu’en réparation de celui-ci, sa condamnation au paiement à mon requérant de l’équivalent en francs congolais de 300.000 $US constituerait déjà un début de réparation ; que le certificat d’enregistrement volume AMA 132 folio 98 du 23 novembre 2007 écarté des débats, Madame Anne Mbuba se retrouve sans titre et sans qualité pour justifier sa présence sur le lieu querellé et le Tribunal ordonnera donc son déguerpissement ainsi que celui de ceux qui occupent le lieu de son chef ».
Le 13 août 2021, le tribunal composé du juge président de chambre Mathieu Ewanda, des juges Maxim Bobali et Annie Milolo en présence de l’Officier du ministère public, Mme Tabu Kamango et de la greffière du siège Mme Nana Masengo, prononce le jugement ci-après :
« Statuant publiquement et contradictoirement à l’égard du toutes les parties ; vu la loi organique n°13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire ; vu le code de procédure Civile ; vu l’arrêt de la cour de cassation sous le RC.178/RC.3896 ; le Ministère public entendu : reçoit les deux moyens soulevés par la défenderesse et les déclare non fondée ; reçoit l’action mue par le demandeur André Bweyasa wa N’siamu et la déclare fondée ; en conséquence annule le certificat d’enregistrement AMA 132 Folio 98 du 23/11/2007 ; ordonne le déguerpissement de la défenderesse Anne Mbuba et de tous ceux qui occupent sous son chef de la parcelle sise avenue Cannas, n°466 dans la Commune d Limete, couverte par le certificat d’enregistrement vol AMA 67, Folio 32 du 13/04/2006 ; ordonne l’exécution provisoire nonobstant tout recours et sans caution du présent jugement en ce qui concerne l’expulsion des lieux querellés; il estime exorbitante la somme de trois millions et la ramènera en équité à cinq mille dollars US pour tous les préjudices subis par le demandeur suite au comportement de la défenderesse ».
D. DADEI.