En Ituri, le Gouverneur militaire réclame une commission d’identification des exploitants miniers chinois
Il avait pris l’initiative, en concertation avec les services provinciaux du ministère des Mines déployés en Ituri, en désignant trois Chinois (Han Yibo, Zhou Dongeel et Xing Aiguo) en vue d’assurer les relations entre d’une part le Gouvernement provincial qu’il préside depuis mai 2021 que la province est en état de siège et de l’autre les exploitants miniers chinois opérant dans l’Ituri. Mais le Gouverneur militaire Johnny Luboya N’Kashama s’est fait retoquer, dans une lettre (datée de 19 octobre 2021, réf. CAB.MIN/MINES/ANSK/02432/01/2021), par le Vice-ministre des Mines, Godard Motemona Gibolum. Ce qui n’a pas été du goût du Lieutenant Général dont la réplique, à fleurets mouchetés, reste sans concession.
IL ECLAIRE LA LANTERNE DE LA MINISTRE.
Agissant au nom de sa titulaire, Antoinette N’Samba Kalambayi en mission, le Vice-ministre a adressé ce courrier au Gouverneur militaire, révoquant la décision de désignation des trois Chinois basés à Djugu et à Mambassa. Une décision qu’il déclare « nulle et de nul effet, parce qu’en violation manifeste des lois de la République» et Godard Motemona invite les trois Chinois à se présenter au cabinet du ministère des Mines, dans la Capitale, le 28 octobre, à 13 heures, pour être entendus sur leurs « activités minières dans la Province de l’Ituri créées pour le besoin de la cause », soupçonne le courrier de Motemona, « en perspective de (la) décision de désignation» par le Gouverneur militaire. En clair, rien du goût du chef militaire de la province…
En effet, si, deux jours plus tard, dans sa lettre du 21 octobre 2021, datée de Bunia (nr°01/0323/PROGOU/P.I/2021), le Lieutenant Général Johnny Luboya N’Kashama réagit, et écrit avoir «pris bonne note du contenu » de la lettre de la ministre – le Gouverneur militaire s’adresse à la Ministre titulaire, refusant toute polémique avec le Vice-ministre qui a signé la lettre -, « en ce qu’elle s’oppose à l’initiative provinciale pourtant prise (insiste-t-il), avec l’implication de tous les services spécialisés des Mines dans la province, à savoir, la Division provinciale des Mines et le SAEMAPE », il n’en reste pas là…
Le chef militaire, qui mène la guerre contre les terroristes ADF et autres, justifie, à la ministre N’Samba Kalambayi, le bien-fondé de sa décision en ces termes : « Pour votre gouverne, notre démarche consistait à faciliter la collecte d’informations nécessaires concernant les opérateurs miniers chinois œuvrant en province de l’Ituri et qui échappent (aux) services spécialisés de l’administration minière, lesquels ont, à plusieurs reprises, sollicité l’appui de l’Autorité provinciale dans l’accomplissement de leurs missions face aux difficultés rencontrées sur terrain ».
« LEVER TOUTE EQUIVOQUE SUR CE DOSSIER ».
Plus que ça – et pour l’en convaincre -, le Gouverneur militaire annexe, pour preuve, une note technique du SAEMAPE, le Service d’Assistance et d’Encadrement des Mines à Petite échelle, datée du 25 mai 2021. « Ladite note porte sur l’encadrement et la perception des droits et frais dans les sites miniers et matériaux de constructions, car, à ce jour, aucun de nos services ne dispose des informations fiables sur lesdites exploitations, la régularité de la présence de ces sujets chinois et leurs situations fiscales en province ».
Puis : « Comme vous le savez (…), nous ne pouvons plus tolérer que cette partie de la République continue à connaître des conflits alimentés notamment par l’exploitation illicite des minerais aux préjudices du bien-être de nos populations ».
Puis, le Gouverneur militaire pousse encore plus fort : « En définitive, en vue d’assainir le secteur minier en province de l’Ituri, je vous prie de bien vouloir diligenter une mission de contrôle et d’évaluation du secteur minier qui devra lever toute équivoque sur ce dossier et formuler des recommandations pour la bonne gouvernance de ce secteur, selon la vision de Son Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’État, Commandant Suprême des FARDC et de la PNC, dans le cadre de la politique nationale du secteur telle que mise en œuvre par le Gouvernement de la République».
Depuis six mois qu’il est Gouverneur en Ituri, le Lieutenant Général Johnny Luboya maîtrise certainement mieux que quiconque dans la Capitale, les problèmes de sa province. Alors, il définit la mission de cette commission en des termes précis : identifier les Chinois et les propriétaires des dragues dans les sites miniers, examiner les conditions d’entrée et de séjour de ces exploitants miniers chinois ; se charger de la mise à disposition des éléments des FARDC et de la PNC en vue d’assurer la sécurité personnelle de ces Chinois et de leurs sites; se pencher sur la perception et la destination des impôts, droits, taxes et redevances miniers par les Services spécialisés des Mines à savoir, la Division Provinciale des Mines et Géologie et le SAEMAPE, durant les cinq dernières années.
Ce courrier avec ampliation au Président de la République, au Premier Ministre, ainsi qu’à plusieurs officiels (ministre de l’Intérieur et Sécurité, ministre de la Justice, ministre de la Défense Nationale, Chef d’État-Major Général des FARDC, Chef de la Maison Militaire du Chef de l’État, Inspecteur Général des FARDC, Administrateur Général de l’ANR, Directeur Général de la DGM, Directeur Général de SAEMAPE, Directeur Général du Cadastre Minier, Chef de Division Provinciale des Mines, Directrice Provinciale de SAEMAPE) – afin que nul n’en n’ignore rien – et au Chinois Han Yibo, Gérant de la Société Mining Business Consulting), le Lieutenant Général Luboya insiste sur l’urgence de l’envoi en Ituri de cette Commission.
« Le peuple iturien, écrit-il, ne pourra qu’applaudir et accueillir (cette Commission) pour un lendemain meilleur ».
MOTEMONA «PEINE A COMPRENDRE».
Si le courrier de Motemona écrit que son signataire «peine à comprendre le sens (des nominations des Chinois par le gouverneur militaire) « du fait qu’il existe une administration et des services spécialisés des Mines dans la province de l’Ituri », le Lieutenant Général rappelle – et il souligne fort – que c’est en compagnie de cette administration et à sa demande que précisément cette initiative a été prise. Ce qui n’empêche pas le Vice-ministre qui reconnaît, dans son courrier dont il adresse copie au Président de la République, au Premier Ministre, Chef du Gouvernement, aux ministres de l’Intérieur, Sécurité et de la Défense Nationale, avoir «pris connaissance de ces nominations, via les réseaux sociaux » (lettre du Gouverneur militaire référencée 01/0250/CAB/PROGOU/PI/2021 du 04 octobre 2021), d’insister que le pays traverse un « moment où les efforts sont concentrés sur la lutte contre l’exploitation minière illicite, particulièrement par les sujets étrangers», sur « le fait que les efforts déployés sont parfois sapés par certaines forces négatives» et d’« attirer l’attention » du Gouverneur militaire « sur le fait qu’en vertu des articles 111 et 114 bis du Code Minier, l’accès à la zone d’exploitation artisanale reste l’apanage exclusif des personnes physiques majeures de nationalité congolaise, membres d’une coopérative minière agréée. En sus, les sociétés minières auxquelles appartiennent les Chinois par vous désignées, sont inconnues des services des Mines en province».
Le ministère des Mines est-il en contact avec ses services déployés en province? Voici un contexte qui rappelle le scandale des sociétés minières chinoises éclatée en août dernier dans une autre province de l’Est – celle du Sud-Kivu, où l’état de siège n’a pas été décrété – lorsque le 20 août dernier, un arrêté du gouverneur Théo Ngwabidje Kasi interdit de toute activité six entreprises minières chinoises implantées dans la province. Une décision qui ramène sur la table le débat sur la colonisation du sous-sol africain par des Chinois. Ayant senti le danger, le Gouvernement chinois s’est aussitôt désolidarisé de ces entreprises.
« La Chine soutient la RDC dans la répression des activités minières illégales », écrit, le 14 septembre, dans une série de tweets, Wu Peng, au nom du ministère chinois des Affaires étrangères indiquant que les autorités de Pékin ont ordonné aux six entreprises minières chinoises interdites d’activités par le gouverneur du Sud-Kivu de plier bagage et de quitter les sites « dès que possible » et qu’« en outre, les entreprises concernées seront punies et sanctionnées par le gouvernement chinois ».
Puis : « Les autorités concernées du Fujian et d’autres provinces (qui) mènent des enquêtes, prendront des mesures. Nous ne permettrons jamais aux entreprises chinoises en Afrique de violer les lois et règlements locaux ».
D.DADEI.