Médias, secteur économique porteur

Médias, secteur économique porteur

Ils furent puissants. Ils furent prospères. Ils furent respectés. Les journaux sous la IIème République (l’ex-Zaïre) eurent chacun une compagnie de journalistes payés au mois, une unité de production, une imprimerie, s’appuyaient sur une centrale d’information informée – l’agence de presse AZAP – comme il en existe sous d’autres cieux, Associated Press, United Press International, Reuter, Agence France-Presse, la soviétique TASS, qui, à elles seules, assurent plus de 80 % des flux mondiaux d’informations.

LE MONDE A MUTE.
Les journaux se vendaient voire s’arrachaient sr le marché.
Rarement une nouvelle était diffusée sans qu’elle ne réponde aux sept questions de Lasswell ci-après qui en fait, du coup, une information : Qui ? (a dit) Quoi ? Où ? Quand? Comment ? Avec qui? Avec quelles conséquences ?
En ces temps-là, il n’y avait pas d’école de journalisme dans notre pays comme il en existe plusieurs aujourd’hui. A l’époque, la formation sur le tas était la règle mais des personnes ayant passé l’épreuve d’un concours allaient en formation à l’étranger.
En ces temps-là, que de journaux de référence, des journaux institution. Le Progrès, L’Étoile du Congo, La Tribune Africaine, etc. Avec des statuts, des propriétaires, des adresses, des immeubles, des propriétés.
Certes, le régime d’aide à la presse – aide directe ou indirecte – existait comme en Occident. Le régime politique voulait se faire accompagner par ce «quatrième pouvoir» redouté. Il ne lésinait pas sur le «quoi qu’il en coûte». La communication aussi bien par les médias publics que par les médias privés était de rigueur. Comment cela aurait-il pu être autrement ?
Les régimes démocratiques peuvent-ils exister sans la com’ ou sans une com’ appropriée même si le ministère de l’Information (de la communication) tend à disparaître laissant le porte-parolat à qui s’en sent la vocation. Mieux, à des services internes.

FAIRE CONSENSUS.
En 2022, la multiplication des médias, l’éparpillement ajouté à la suroffre permise par les technologies, à l’envahissement avec l’ouverture des frontières, a fait muter le monde. L’Internet a tout chamboulé avec les sites en ligne, les médias d’information en continu, les réseaux sociaux, les blogs, les fake news. En clair, la multitude. La dérégulation.
Il y a vingt ans, à bord d’un vol faisant la desserte Bruxelles-Kinshasa, un expatrié vînt me voir à mon siège, ces mots à la bouche :
– Cher Monsieur, je vous connais, ne me parlez pas de votre média que je connais. Mais j’ai une question : comment fait-on à Kinshasa, au Congo, pour s’informer ?
Question à la fois attendue et tragique. Elle me laissa sans mot.
Je répondis à l’homme que je comprenais sa question mais que je n’en avais aucune réponse !
Sans centrale d’information, comment un média peut être en capacité d’informer ? Sauf à porter des jugements…
Un journal, une télévision, une radio, etc., est à l’écoute d’une centrale qui a mission d’informer non le public mais les médias.
Aux médias d’exploiter – de mettre en forme – «ces alertes» chacun selon son ressenti, selon sa sensibilité, selon sa ligne éditoriale, dans le respect strict des règles du métier.
A un média, nul ne demande de se défaire de l’idéologie. La liberté de presse ne se conçoit pas à l’émission. Elle se conçoit à la réception, au public récepteur/consommateur. Plus nombreux et plus divers idéologiquement sont les médias, plus le public citoyen sera informé, plus il recevra des éléments pour se faire un jugement objectif, mieux il se fera sa propre opinion. De là ce qui, en régime démocratique, est demandé aux Gouvernements : sauf en état d’exception, laisser éclore les médias aussi librement que possible afin que le public, à l’arrivée, se fasse son propre jugement.
Plus le champs est réduit idéologiquement, moins bien le public est informé et mal il jugera les événements.
Là où existe une centrale d’information, qui fournit aux médias les nouvelles de départ, les médias partagent une même hiérarchie ; ils font consensus sur les fondamentaux.
Après, à chaque média d’y voir comme il le ressent.
Dans cet espace existe une culture commune en partage. Est-ce le cas aujourd’hui au Congo, quatrième pays le plus peuplé d’Afrique après le Nigeria, l’Éthiopie, l’Égypte, le pays francophone le plus peuplé ?

IL FAUT RÉINVENTER
Face à mille titres de presse, face à mille médias, chacun appartenant à un acteur politique nourrissant sa propre idée sur tel acteur, face à l’absence de centrale d’information à laquelle les médias font référence, face à l’absence de financement étatique ou commercial par la fourniture de publicités, qu’attendre d’un média sinon le financement politique qui, en contrepartie, lui en demandera des dividendes ? Plus il y a de financement politique, plus un média est politiquement dépendant, moins il est libre…
Au Congo, plus que jamais, il faut réinventer les médias. Réinventer les médias n’a de sens que dans un cadre économique. Un média est une industrie comme une autre, cotée en Bourse même si, face à Google et Facebook, la Bourse est parfois un chemin de croix. Mais tout n’est pas noir. Les grandes chaînes de télévision, telle CNN, propriété de WarnerMedia, les grands journaux The New York Times Company, The Financial Times du groupe Pearson, etc., sont des industries de communication. Le groupe de presse britannique Future Plc publiant des magazines de loisirs et de hobbies affiche une valorisation d’environ 4,4 milliards de livres. A l’État, Gouvernement et Parlement, d’en créer le cadre en lien avec les professionnels eux-mêmes.
Les médias sont d’abord des médias d’un pays. Il leur est demandé d’être «citoyens». Aimer et privilégier l’intérêt national sans que cela n’empêche pas de mettre le couteau dans la plaie.
Il y a des slogans dans la communication, le marketing, la publicité, la diffusion : «Bien faire et faire savoir» ; «satisfait ou remboursé».
En clair, la communication déteste le mensonge. Un communicant qui ment disparaît d’office. S’il apparaît sur les écrans télés ou si l’on entend sa voix, cela pousse le public à zapper la chaîne.
Le produit de vente, le produit de communication doit être bon au départ. Dans la forme et dans le fond, prendre soin de son produit s’il doit être proposé à la vente est un principe majeur.
Sur quoi est fondé «le changement de narratif»? Comment cette campagne va-t-elle impacter si elle n’est basée sur du résultat, à savoir, le changement des conditions de vie des gens?
Comme tout produit, le média est livré aux principes du marché. Il n’existe que lorsqu’il est demandé. Pour l’être, il doit répondre à un besoin; il doit satisfaire un besoin. Si «le changement de narratif» consiste à dire noir quand c’est blanc ou blanc quand c’est noir, c’est cesser la demande des médias, signer leur arrêt de mort.

T. MATOTU

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