Sa dream team le lâche
L’ex-gouverneur milliardaire fragilisé politiquement.
Il avait mis le niveau très haut, visé le toit de la cime, recruté une dream team socio-politico-intellectuelle, réunissant des personnalités venues de tous les horizons, de l’est, de l’ouest, du sud, du nord, capables de mobiliser pour lui, de le porter haut, plus haut, au pouvoir, au pouvoir suprême. Mais la dream team a perdu quatre de ses hommes clés : un ancien ministre de la Défense, Charles Mwando Nsimba décédé le 12 décembre 2016 à Bruxelles ; un ancien Conseiller spécial du Président de la République en matière de sécurité, Pierre Lumbi Okongo disparu le 14 juin 2020 à Kinshasa ; un ancien gouverneur de province (et pas n’importe laquelle, n’importe lequel, Antoine-Gabriel Kyungu wa Kumwanza mort le 21 août 2021 à Luanda en Angola ; et, bien avant tout – ce qui avait tout précipité – la personne qui fut son mentor, Augustin Katumba Mwanke emporté dans un crash aérien le 12 février 2012… Certes, si chaque personne est unique et irremplaçable, restent à l’homme la chance et le talent, la réactivité et l’inventivité. Moïse Katumbi Chapwe ne manque rien. Ni l’équipe qui l’entoure désormais. Sauf que l’accident en politique est légion quand les données changent. Avec la nouvelle vague de départs annoncés, dans un contexte et un climat nouveaux, où la sociologie pèse plus que la communication dans laquelle il excelle et les finances, la dream team va-t-elle tenir la barre haute ?
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Dans une vie passée, cette salle fut une salle de classe. Le 16 septembre 2015, elle ouvre ses portes sous de mauvais augure. C’est une réunion d’urgence du bureau de la plate-forme politique de Joseph Kabila dont c’est le lieu de rencontre.
Sur ce site, à califourchon entre la riche commune de la Gombe et la vieille commune de Kintambo, se nichait jadis, enfoui sous des arbres centenaires, le QG du puissant homme du régime qui y entretenait un modeste bureau semblable à celui d’un maître d’école primaire.
TOURNANT KATUMBI.
Originaire du Katanga, Augustin Katumba Mwanke était revenu au Congo en mai 1997 avec le régime Kabila qui a chassé Mobutu du pouvoir.
Cet ingénieur civil mécanicien parti en Afrique du Sud chercher un emploi dans les mines et dans la banque, est recruté à Kinshasa comme conseiller, grâce à ses contacts sud-africains, au cabinet du ministre des Finances Mawampanga Mwanananga qui, à son départ, en janvier 1998, le recommande à son éphémère successeur Fernand Tala-Ngai. Quand, en avril 2001, après l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila et l’avènement de son fils Joseph Kabila Kabange, Freddy Matungulu Mbuyamu Ilankir hérite du portefeuille des Finances, mais aussi celui de l’Économie et du Budget, il retrouve l’effacé mais efficace conseiller avec qui il avait tissé un lien et qui l’avait placé au poste.
Matungulu avait été recruté à Washington où il travaillait au Fonds Monétaire International mais repart en février 2003 dans la capitale fédérale américaine après avoir mis la clé du géant ministère sous le paillasson, craignant pour sa sécurité, à la suite d’un dossier avec le gouvernement zimbabwéen de Robert Mugabe.
Katumba Mwanke a été très vite découvert par les Kabila, père et fils. En 1997, il est nommé vice-gouverneur du Katanga, puis, l’année suivante, il est titularisé gouverneur.
Le 14 avril 2001, il fait son entrée au gouvernement comme ministre délégué à la présidence de la République chargé du portefeuille de l’État. Mais son nom est cité dans diverses transactions financières illicites notamment dans un rapport d’un groupe d’experts des Nations Unies portant sur l’exploitation illégale des ressources minières.
Le 11 novembre 2002, Katumba Mwanke quitte le gouvernement mais, tapis dans l’ombre, il reste l’homme fort du régime.
Sur papier, il est tour à tour secrétaire général du Gouvernement, ambassadeur itinérant, membre cofondateur du parti présidentiel Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie, PPRD, secrétaire général de la majorité présidentielle.
Il fait, défait, place, déplace qui il veut. Il n’y a pas de décision, pas de nomination qui soit prise sans qu’il n’ait donné un avis préalable. Tout le cercle fermé de Joseph Kabila est de son obédience, et répond de lui. Cela ne fait pas que des amis…
Katumba Mwanke est le mentor de Katumbi Chapwe. C’est lui qui le positionne dans le sérail, lui offre le gouvernorat du grand Katanga minier, le protège et le défend contre tout…
Mais Katumba meurt le 12 février 2012 dans un crash resté flou. A bord du jet privé de Moïse Katumbi, avec le ministre des Finances Augustin Matata Ponyo Mapon et d’autres personnalités clé du régime, il se rendait à Lubumbashi, alors capitale du grand Katanga, avec escale sur la piste de Kavumu, à Bukavu. C’est à l’atterrissage sur cette piste que le crash a lieu.
Moïse Katumbi perd ainsi l’homme avec qui il préparait son devenir politique.
Sous ces énormes abris d’arbres, entre la Gombe et Kintambo, la réunion d’urgence du 16 septembre 2015 regroupe l’équipe politique du régime.
Cette réunion se tient comme toutes les autres sur ordre du président de la République. Mais celle-ci marque un tournant : imposé par l’agenda personnel du puissant gouverneur, le début de la fin du règne se dessine.
Deux jours auparavant, le 14 septembre, Kabila avait réceptionné, à son plus grand étonnement, un troisième courrier venant de membres de sa majorité et non des moindres. Une lettre ouverte.
Ces membres se réclament du G-7 : son ancien ministre de la Défense devenu 1er Vice-président de l’Assemblée nationale Charles Mwando Nsimba, l’homme chargé de la sécurité de l’État – son Conseiller spécial en matière de sécurité – Pierre Lumbi Okongo, l’ancien gouverneur du Katanga Antoine-Gabriel Kyungu wa Kumwanza, un député de Likasi, Dany Banza Maloba, l’ancien ministre de l’Environnement José-Endundo Bononge, le ministre du Plan Olivier Kamitatu Etsu et un député juriste constitutionnaliste qui s’est fait une renommée à la Conférence nationale souveraine des années Mobutu, Christophe Lutundulu Apala Pen’Apala. Sur ces sept signataires, trois (Mwando, Kyungu, Banza) viennent du Katanga, la province d’origine de Kabila. D’autres en nombre hésitent à se manifester mais pas longtemps. Certains décident d’abandonner leurs portefeuilles ministériels pour rejoindre Katumbi.
Dans ces trois lettres ouvertes reçues fin février, début mars et mi-septembre 2015, les signataires de ces trois lettres qui avaient soutenu Kabila dès le lendemain de l’Accord de Sun City, ont initié et conduit sa plate-forme politique – AMP (Alliance pour la Majorité Présidentielle)devenue MP (Majorité Présidentielle) – ont retourné leur veste. Ils l’accusent de chercher à se maintenir au pouvoir, le pressent de s’en aller au plus vite afin que des élections « démocratiques et transparentes se tiennent dans les délais constitutionnels » en 2016, et qu’il y ait alternance démocratique à la tête du pays.
Y voyant un acharnement, Kabila outré donne ordre à son bureau politique d’entendre d’urgence «ces frondeurs» pour en tirer toutes les conséquences.
Gonflé à bloc, le groupe présent à la réunion, rejette tout dialogue politique préconisé par Kabila, réclame la présidentielle dans les délais constitutionnels et, en colère, vide la salle. Le clash attendu…
L’annonce publique du clash avait été apprêtée. Mais c’est le groupe resté en salle qui prend le devant, convoque les médias, fait l’annonce d’«auto-exclusion des frondeurs». Une page vient d’être tournée.
GUERRE AVEC KABILA.
Membre du PPRD, président provincial du PPRD/Katanga, le très médiatisé puissant gouverneur du Katanga, qui draine des foules dans cette province certes mais aussi dans tout l’espace swahiliphone, très connu notamment pour ses investissements dans son club de foot, le Tout Puissant Mazembe, qui avait, dès décembre 2014, à son retour d’un séjour de deux mois en Europe, interdit «un troisième penalty injuste » qui pousserait le public à descendre sur le terrain après deux «faux penalties», quitte, le 29 septembre, son poste de gouverneur, claque la porte du PPRD, rallie le groupe des frondeurs.
« Moïse Katumbi est notre partenaire privilégié », déclare en chœur le G-7.
« Il est le candidat commun des formations politiques composant la plate-forme pour la présidentielle prévue le 27 novembre 2016 », poursuit-il.
Entre Kabila, Moïse Katumbi et le G-7, la guerre est ouverte.
Le 20 mai 2016, à bord d’une ambulance, avec un médecin et son épouse, Katumbi Chapwe rejoint l’aéroport de Lubumbashi, embarque pour l’Afrique du sud, se rend en Europe.
Une semaine auparavant, il avait été blessé au cours d’affrontements devant le tribunal où il était attendu pour être jugé pour «recrutement de mercenaires américains». Un dossier dans lequel il risquait la peine de mort. L’exil durera trois ans.
Si le G-7 a vu le jour pour le porter à la présidence de la République, l’ex-gouverneur, accusé d’avoir détenu sous le nom de Moïse Katumbi d’Agnano une nationalité autre que la nationalité congolaise, est interdit de concourir à la présidentielle. Mais, depuis l’étranger, le multi-millionnaire mobilise les médias, ne lâche rien…
Début août 2018, il veut rejoindre le Congo mais n’y parvient pas par son jet privé interdit de se poser en territoire congolais. Il tente le tout pour le tout. Il veut déposer sa candidature à la présidentielle qui a lieu le 30 décembre 2018. Il décide de passer par la frontière terrestre mais des camions bloquent la frontière zambienne alors que le parquet annonce que l’ancien gouverneur serait mis «en état d’arrestation immédiate» en cas de retour, «inculpé» pour «atteinte à la sécurité intérieure et extérieure de l’État». Il existe un autre procès retentissant. Une affaire dite Stoupis de spoliation immobilière qui lui vaut une condamnation à trois ans de prison, puis un acquittement.
Si, le 20 mai 2019, Katumbi Chapwe regagne le Congo, c’est suite au changement de régime intervenu le 24 janvier 2019. Le nouveau président de la République dont il n’a pas soutenu la candidature, portant celle de Martin Fayulu Madidi, de la coalition Lamuka, a accepté de lui délivrer un passeport. Engagés par l’ancien gouverneur, des lobbystes américains payés ont joué aussi un rôle. « J’ai un grand rôle, celui d’opposant», déclare-t-il sur le média belge francophone Rtbf avant de décoller pour le Congo.
Le 20 mai 2016, c’est en opposant à Kabila dont il fut auparavant l’allié qu’il avait quitté le pays. Le 20 mai 2019, c’est en opposant à Félix Tshisekedi qu’il revient, écrit le média.
Mais le contexte et le climat ont changé.
Le président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo a rompu la coalition de gouvernement avec Kabila et a organisé des consultations auxquelles a pris part un groupe de Lamuka désormais scindé en deux. Le 26 avril 2021, une équipe gouvernementale est formée autour du premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge. Elle englobe six ministres du parti Ensemble de Moïse Katumbi lancé en mars 2018 depuis l’Afrique du sud. Or, cinq au moins de ces ministres – Séraphine Kilubu Kutuna, vice-ministre de la Défense, Modeste Mutinga Muttuishayi, ministre des Affaires humanitaires, Muhindo Nzangi, ministre de l’Enseignement supérieur, Christophe Lutundula, vice-premier en charge des Affaires étrangères – lâchent désormais publiquement le puissant gouverneur.
Christophe Lutundula Apala Pen’Apala, l’un des initiateurs du G-7, déclare, le 21 février 2022, sur Rfi : «Je crois que les choses sont claires. Je participe à l’action du gouvernement. Le bilan du gouvernement, c’est aussi mon bilan. Je suis au gouvernement, mon chef, c’est le président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo. Ce serait quand même illogique de rester au gouvernement et de ne pas souhaiter que le président Tshisekedi continue. D’autant plus que la première fois, c’était la phase de déminage. L’héritage était tellement lourd qu’il n’y avait pas d’illusion à se faire en pensant que dans cinq ans, le Congo va changer (…). Donc je travaille totalement – et Moïse Katumbi le sait – pour que le gouvernement réussisse. Nous sommes membres de l’Union sacrée, avec Ensemble pour la République. Je suis fidèle au chef de l’État, je travaille à sa réussite. Pour moi, il faut continuer le travail sous le label de l’Union sacrée et sous le leadership de Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, que nous soutenons. Ce serait tout de même ridicule que d’être dans ce gouvernement, de travailler aux côtés du président Tshisekedi, et de dire demain que nous avons échoué et que «Monsieur le président, ne continuez pas…». Ça, ça ne va pas quand même! La logique la plus simple, c’est de dire : «Je jette l’éponge. Je m’en vais…». Je n’ai pas envie de jeter l’éponge».
Un vrai camouflet pour l’homme qui voit son affiche de rêve imaginée en 2015 réduite en lambeaux même s’il continue à drainer médias et foules, mais qui pourrait manquer de discours au moment même où il vient de couper en grande pompe le ruban de l’énorme siège de son parti fait de quatre bâtiments érigés sur l’ancienne propriété du consulat des États-Unis d’Amérique à Lubumbashi. Mais en politique, les exemples sont légion : nul n’est jamais mort tant qu’est présent le souffle de vie.
T. MATOTU.