Pourquoi l’IGF tarde à publier certains rapports web
Nul doute, l’Inspection Générale des Finances vit un moment de secousses. Dans un pays où prédation et corruption sont la règle de résilience à tous les niveaux de l’administration publique, les méthodes et les campagnes de communication de l’actuel Patron de l’Inspection Générale des Finances ne laissent pas sans réaction quand elles durent et perdurent depuis plus de trois ans avec certes nombre d’arrestations de personnalités même si les résultats en termes de récupération de fonds détournés par des individus ne sont pas au rendez-vous. N’eussent été la volonté et la détermination du président de la République, rien n’aurait pu être possible lorsque pièges et menaces quelconques voire de mort affluent.
En juillet 2021, l’IGF a lancé une vaste mission de contrôle à la Gécamines qu’elle peine à clôturer. Pendant six mois, la structure anticorruption a plongé dans la gestion de cette société allant de 2012 à nos jours.
Une mission « prioritaire » pour le Chef de l’État. Il a fallu plusieurs missions, des réunions d’écoute et de conciliation. Sept mois plus tard, le 18 février 2022, une ultime rencontre – «la réunion sanctionnant la fin de l’audit mené par l’IGF auprès de la Gécamines sur une période de 10 ans» – s’est tenue à Kinshasa, avenue du Haut Commandement, siège de l’IGF, entre la nouvelle équipe dirigeante de l’entreprise d’État basée dans l’ex-Katanga, à Lubumbashi, menée par son Secrétaire général Patrice Pungwe Mbuyu et l’équipe des inspecteurs présidée par l’Inspecteur Général-chef de service Jules Alingete Key. Et, à l’issue de la rencontre, signature d’un procès-verbal.
«Un aboutissement heureux du travail qui s’est déroulé sur six mois. Toute la procédure requise a été suivie, respectée de bout en bout. Les observations ont été faites à la Gécamines, qui y a réservé une suite. Puis, une séance de débat contradictoire pour examiner ces observations et les réponses données. Nous sommes tous du même avis : les conclusions vont être publiées», déclarent alors publiquement, devant les médias, tour à tour, Alingete et Pungwe.
NON, IL EN A RIEN ÉTÉ…
On espérait une fumée blanche dans la semaine qui suivrait et que ces conclusions seraient enfin livrées aux Congolais. Non, rien de tel…
Il a fallu un autre tour de table prévu par aucune législation. Dont présenter le rapport complet, dûment signé par les deux parties Gécamines et IGF, à des « personnalités de haut rang citées, impliquées », a-t-on appris. Et, depuis, rien ne bouge ! Dans les chancelleries, sur les réseaux sociaux, dans nombre de rédactions structurées, dans le pays et à l’étranger, ça fait bruissement. Place aux suspicions, à des menaces de dénonciation.
L’IGF est-elle bloquée, et comment, quand partout, on rappelle la clarté du discours du très redoutable « Chérif congolais » récemment visité et félicité par des officiels de l’administration américaine?
Le 18 mars 2022, sur un dossier lié à «un nouveau détournement» des fonds publics au ministère de l’EPST (Enseignement Primaire, Secondaire et Technique) et à l’entreprise d’État SCPT – Société commerciale des Postes et des Télécommunications – Alingete s’est écharpé avec des groupes de médias et sur Twitter.
« Les allégations dans les réseaux sociaux sont un coup d’épée dans l’eau (…). La prédation était au rendez-vous. Triste cynisme récidivisme de la prédation », écrit-il, allusion à cet «énième détournement à l’EPST» qui aurait justifié, le 16 mars, «la détention» du professeur Eddy Mwanzo Idin’Aminye, le directeur de cabinet du ministre Tony Mwaba Kazadi, accusé d’avoir pioché dans une somme de 400.000 $US mis par le Trésor public à la disposition du cabinet du ministre en vue de la mobilisation des élèves pendant le tournoi inter-scolaire panafricain.
«L’IGF ayant découvert des actes de détournement dans l’organisation du récent tournoi interscolaire, les prédateurs institutionnels concernés se sont mis à attaquer gratuitement l’IGF dans les réseaux sociaux pour brouiller la vérité qui sera incessamment dévoilée », poursuit-il.
Quand il est soupçonné de bloquer la publication du rapport de mission à la SCPT, pour «aider un beau-frère, Patrick Umba Banza, D-G a.i de la SCPT», l’Alligator brandit toutes les armes, rapport de mission et courrier du 17 décembre 2021, signé de lui-même, adressé à «Madame le Procureur Général près la Cour d’Appel de Kinshasa/Gombe» dans lequel il transmet «la Note d’OPJ consécutive aux conclusions de la mission de contrôle de gestion de la Société Congolaise des Postes et des Télécommunications (SCPT) ». Courrier réceptionné le 19 décembre au Parquet Général.
Décryptage : Comment bloquer un dossier régulièrement transmis à la justice ?
Puis : «Je suis dans la joie quand les prédateurs et leurs lieutenants sont en débandade et en insomnie ».
Et le compte officiel de l’IGF @IgfRdc de reprendre la main quand d’aucuns évoquent un mécontentement à l’IGF: «La grogne à l’IGF n’existe que dans la tête des prédateurs et de leurs alliés journalistes, membres de l’association pour la défense des voleurs de la République. Il règne une paix imperturbable à l’IGF». Puis : «Quand ils sont dévoilés dans leurs tentatives de détournements de deniers publics, les prédateurs de gauche, du centre et de droite, se mettent ensemble pour organiser des attaques contre l’IGF».
Nombre de fois certes, Alingete s’est plaint de «pesanteurs entretenues par de hauts responsables (membres du Gouvernement trop souvent) pour protéger des mandataires indélicats».
S’il lui arrive d’être désemparé, est-ce le cas du dossier cataclysmique de la Gécamines?
Longtemps présidée par l’hyper homme congolais Albert Yuma Mulimbi, évincé le 4 décembre 2021, la Gécamines, l’un des piliers principaux de l’économie congolaise, fait, de toutes parts, depuis de nombreuses années, l’objet d’accusations de mauvaise gestion.
Selon des indiscrétions, lors de ses missions à la Gécamines, l’IGF s’est particulièrement intéressée aux avances financières faites par la compagnie minière à l’État.
Dans une lettre du 14 septembre 2021, adressée à la gouverneure de la BCC, Banque centrale congolaise, Malangu Kabedi Mbuyi, elle fait état de l’octroi de 531 millions de $US d’avances fiscales et de 61 millions de $US de prêts à l’État. Des avances effectuées, entre 2012 et 2020, via des comptes en monnaie étrangère de la Banque centrale dans différentes banques commerciales.
Dans la même lettre, l’IGF fait part de l’existence de deux autres correspondances.
La première, datée du 11 mai 2009, signée par Adolphe Lumanu Mulenda Bwana Nsefu, le directeur de cabinet du président honoraire Joseph Kabila Kabange. La seconde lettre, signée le 10 février 2015, adressée au cabinet PricewaterhouseCoopers RDC par la Sicomines – compagnie sino-congolaise créée après la signature du «contrat du siècle» entre Kinshasa et Pékin.
UN RAPPORT « DEVASTATEUR ».
Des courriers qui confirment, pour l’IGF, le paiement, en juin 2009, de 175 millions de $US à l’État congolais via le compte de la BCC en Chine. L’IGF souhaitait s’assurer que 767 millions de $US ont bien été comptabilisés dans le compte général du Trésor. Elle n’avait pu obtenir toutes les réponses à ses questions. Le 28 octobre, elle s’adresse au ministre des Finances, Nicolas Serge Kazadi Kadima-Nzuji. Dans un autre courrier, Alingete affirme que la BCC n’a, à ce stade, pas pu retracer dans le compte général du Trésor « la quasi-totalité desdits avances et prêts », soit plus de 591 millions de $US. Du coup, il demandait au ministre des Finances de surseoir à l’opération de titrisation des créances de la Gécamines jusqu’à ce que la situation soit clarifiée. En mai 2021, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo a fait part de son intention de renégocier les contrats miniers passés par l’administration de Kabila. Soutenu par l’administration américaine, l’initiative a débouché sur un état des lieux du contrat signé en 2008 avec la Chine.
Lors d’un conseil des ministres, le 19 novembre, le Chef de l’État a souligné la nécessité de rationaliser la gestion du secteur minier, instruisant notamment la ministre des Mines, Antoinette N’Samba Kalambayi, de suspendre les permis de recherches des droits miniers et de carrières, en attendant l’assainissement du cadastre minier. Il a demandé à l’IGF de lancer une mission de contrôle du secteur minier dans sa globalité.
Sur le énième scandale de l’EPST, un communiqué du 18 mars signé Lecœur Mutshipayi Mufuta de la cellule Com’ de l’IGF en rajoute une couche. Il « constate avec regret le comportement prédateur et récidiviste des membres du cabinet » de ce ministère ; dénonce « des déclarations irresponsables du Directeur de cabinet et du chargé de presse de l’EPST (qui sont) une comédie destinée à distraire l’opinion publique sur leurs actes nuisibles qui démontrent à suffisance la perversion de ces agents appelés à être des modèles au vu de leur rôle dans l’éducation de la jeunesse » ; nie l’existence de cachots à l’IGF. « L’IGF ne dispose d’aucun cachot quelconque.
Cela n’existe que dans la tête de ces agents manipulés par leur hiérarchie avec qui ils coopèrent en bande organisée (…)». Le communiqué « confirme que les conseillers, directeur de cabinet et comptable du ministère de l’EPST ont fait le faux et l’usage de faux dans le but de détourner les fonds publics (…). Ils ont falsifié les factures de la société TransCo et imité les factures de l’imprimeur GradeCo pour détourner les fonds publics ».
Quid de la Gécamines. Que renferme ce rapport? Quelles sommes ont été détournées au préjudice de l’État ? Quels individus sont cités ? Pourquoi l’Aligator tarde à rendre public un rapport tant attendu, annoncé comme dévastateur ? Lui qui, à ce jour, donne l’image du flic intransigeant !
T. MATOTU.