À Dubaï, deux ministres négocient un méga-projet immobilier pour la baie de Ngaliema et sa corniche
Borborygme dans le secteur des Affaires foncières, de l’Urbanisme et de l’Habitat. Les deux ministres de tutelle, Aimé Sakombi Molendo et Pius Muabilu Mbayu, tels des frères siamois, font de fréquents aller-retour Kinshasa-Dubaï pour finaliser avec la firme des BTP, Emaar Properties, un méga-projet immobilier qui s’étendra sur toute la baie de Ngaliema, de la rivière Gombe en passant par Chanimétal jusqu’au collecteur situé au Mont-Ngaliema. Expropriations en perspectives.
Au ministère des Affaires foncières, un mémo sur la baie de Ngaliema daté du 25 mars 2022 rappelle qu’en 2027, dans cinq, le contrat de concession n°E307 (portant sur la parcelle n°10612) au profit de la société Utexafrica sera nul et non avenu.
De même, le contrat de servitude foncière (n°001 du 12/08/2017) signée entre la dite société et l’État congolais sur la parcelle n°41.072 arrive à échéance dans vingt ans, en 2042, et en 2045, il en sera ainsi du contrat E 295 portant sur la parcelle n°17.835 où la société Utexafrica développe un projet de réserve de biosphère de la baie de Ngaliema. Ministre de l’Urbanisme & Habitat dans le cabinet Tshibala, Joseph Kokonyangi Witanene avait tenté de faire prévaloir les droits de l’État sur les concessions Utexafrica et Texaf, il avait dû vite se raviser suite à des pressions belges.
Des sources rapportent qu’il avait été empêché d’entrer dans ces concessions. Branle bas! Au Congo, il existe de larges pans du territoire qui échappent encore à la souveraineté de l’État. C’est le cas des pipelines des produits pétroliers qui partent de Ango-Ango, près de Matadi jusqu’à SEP, près du Beach Ngobila.
En 1960, Patrice Lumumba avait dû protester le contrat de concession hérité aujourd’hui par Finalog, court jusqu’en 2025 et pourrait être prorogé jusqu’en 2075…
Sur la baie de Ngaliema appelée aussi corniche de Kinshasa, aux Affaires foncières, l’on soutient qu’il s’agit des espaces réputés non aedificandi. En clair, interdits à la construction.
Mais les alentours de la rivière Gombe ont subi une urbanisation anarchique de ses berges, quoique dénoncée depuis 2006 et reprise dans le répertoire des sites occupés anarchiquement dans la ville de Kinshasa établi par voie d’arrêté ministériel n°006/CAB/MIN/AFF.F/2006 du 7/01/2006, la bande de terre longeant la concession Utexafrica, le long de la rivière Gombe, a davantage accueilli des constructions si bien que le curage de la Gombe au moyen d’engins n’est guère possible à ce jour. Par ailleurs, entre le pont Dag Hammarskjöld et le fleuve Congo, la rivière Basoko sort régulièrement de son lit en modifiant fréquemment son tracé si bien que les Affaires foncières ont dû délivrer un certificat d’enregistrement au profit de la firme Texaf (parcelle n°24.962) afin de préserver les berges de la rivière.
Toutefois, un second impact de l’imperméabilisation de cette zone est le risque réel du report des dommages vers le lit de la rivière Makelele déjà fortement perturbé par son urbanisation en pourtour et qui, par ensablement, ne pourra plus drainer les eaux en amont avec un risque important de report des inondations dans les quartiers fortement habités du bassin versant et même d’une partie du camp militaire Kokolo à travers la rivière Basoko, voire un risque très réel d’endommager la structure et les fondations du pont Dag Hammarskjöld qui pourrait s’effondrer paralysant ainsi la circulation entre le centre-ville et tout le pan Ouest de la capitale kinoise.
Par conséquent, même le contrat Texaf n’est plus d’aucune utilité pour protéger la Capitale.
Le mémo des Affaires foncières compare la concession Texaf à la «Cité du Fleuve qui est caractéristique de ces problèmes d’imperméabilisation de la zone de crue du fleuve avec le report d’inondation vers Kingabwa, ses villages de pêcheurs et dans la zone même de l’emprise de la Cité du Fleuve qui, annuellement, pendant plusieurs semaines, est aujourd’hui sous eaux».
Il y a à boire et à manger.
CONTINUITE DE L’ÉTAT.
Il y a près de quatre ans, le 25 avril 2018, l’ACGT, l’Agence congolaise des grands travaux (organisme public, donc de l’État) annonçait la construction des logements collectifs et des restaurants le long du fleuve Congo.
L’ACGT a dit avoir déjà entamé, 24 heures plus tôt, les «premiers échanges» avec l’entreprise Startones pour «la concrétisation du projet de construction de La Corniche» le long du fleuve.
Il y sera érigé des hôtels, des restaurants, des commerces, des centres culturels, des logements collectifs. Charles Médard Ilunga, le directeur général de l’ACGT, a déclaré :
«C’est un des rares projets que le Congo peut avoir. Aujourd’hui, il y a une très faible visibilité le long du côté du fleuve. Ce projet de Corniche est un grand projet avec des équipements immobiliers et mobiliers». Déjà, une équipe technique est censée être sur le terrain pour compléter les études réalisées.
Toutefois, le projet ne va pas sans polémique. L’on se souvient, lors du procès dit des 100 jours, l’ex-Dircab du Chef de l’État, Vital Kamerhe, avait rappelé que depuis 1960, il est interdit de construire sur la baie de Ngaliema.
Voilà pourquoi il avait conseillé à Suraya Mpiana de rejeter l’offre d’une concession lui offerte par son cousin Shangalume dit Masaro.
En juin 2018, l’alors Gouverneur de la Capitale, André Kimbuta Yango, s’est lancé dans une campagne d’intimidation des occupants du site sans réel succès.
Son ultimatum de 3 jours pour présenter des titres de propriété à ses services est resté sans effet. Mais, au nom du principe de la succession de l’État, Sakombi Molendo et Pius Muabilu sont entrés en scène.
L’administration Tshisekedi reprend à son compte ce projet immobilier qui s’étend sur une surface équivalent 65% de la commune de Lingwala ou de Kintambo. Le ministre des Affaires foncières a déjà remis au chef de l’État le projet Corniche revu et corrigé. Depuis, le ministre d’Etat en charge de l’Urbanisme & Habitat et son collègue des Affaires foncières font régulièrement le déplacement de Dubaï où ils sont en pourparlers avec Emaar Properties, un des majors dans les méga-projets d’infrastructure. Mais dans la version du projet présenté par l’ACGT et l’Hôtel de ville du temps de Kimbuta, le développeur du projet était la firme Starstone. Et le coût initial du projet immobilier sur la corniche de Kinshasa, soit 187 ha, était de plus de 1, 5 milliards de $US.
Les travaux de construction des digues pour les quatre zones vont coûter 95.276.864 $US. Tandis que les travaux de construction des remblais, 73.204.040 $US. Par ailleurs, les travaux de voiries, des réseaux et de drainage sont estimés à 255.460.784 $US. Coût global des travaux : 423.941.488 $US.
En ce qui concerne les travaux de construction des bâtiments, sur les 40 % des terrains à développer directement par Startone, l’investissement est évalué à 880.520.070 $US. Le projet devra être présenté au Conseil des ministres et débattu dans le Parlement.
Cité Corniche, un îlot doré dans une Capitale en état bidonville.
Dans sa version présentée par l’ACGT, le projet est divisé en quatre zones. La Zone I qui part de la résidence actuelle de l’ambassadeur de France jusqu’à la clôture du Palais de la Nation s’étend sur une superficie de 24,56 ha, dont 9,02 ha sur la terre ferme et 15,54 ha à gagner sur le fleuve. Il y sera érigé un restaurant, des commerces, des logements collectifs et des maisons individuelles. La Zone II s’étend du Palais de la Nation à l’embouchure de la rivière Gombe sur une superficie de 33,07 ha, dont 11,80 ha sur la terre ferme et 21,07 à gagner sur le fleuve.
Il y sera construit un restaurant, des commerces, un hôtel et des logements collectifs. La Zone III, la plus importante, va de la rivière Gombe au chantier naval de Chanimétal au niveau de la baie de Ngaliema sur une superficie de 77,79 ha, dont 67,86 ha sur la terre ferme et 9,93 ha à gagner sur le fleuve.
Elle comprendra des bureaux, un restaurant, des commerces, un hôtel, un River Club, des logements collectifs, des maisons individuelles, un parc thématique (45.000 m2) et un théâtre.
Enfin, la Zone IV s’étend du chantier naval de Chanimétal jusqu’au collecteur situé au Mont Ngaliema, soit une superficie de 52,23 ha, dont 24,71 ha sur la terre ferme et 27,52 ha à gagner sur le fleuve. Elle comprendra des bureaux, un restaurant, des commerces, un hôtel, des logements collectifs, culturel et éducationnel, un centre culturel.
Le documentaire de présentation du projet précise que 60 % des terres aménagées revenant à la partie privée seront mises à la disposition des promoteurs immobiliers, locaux et internationaux. En revanche, 40 % des terres seront directement exploitées par le Groupe Starstone au Congo, et ce, conformément au cahier des charges et aux plans architecturaux élaborés.
D’après le rapport établi par la Commission d’experts des ministères et administrations concernés, il est fait état de l’existence des espaces couverts par des titres de propriété ou faisant l’objet des prétentions des tiers. Expropriation en règle, Il apparaît dès lors nécessaire d’amorcer la procédure d’expropriation préalable pour cause d’utilité publique. Le promoteur est disposé à prendre en charge les frais d’indemnisation compte tenu de l’importance des investissements consentis.
Sur le plan fiscal, il a été convenu que ce projet puisse bénéficier du régime des Zones économiques spéciales (ZES). Dans le cadre de ce partenariat public-privé, l’État congolais va bénéficier des 20 % de l’ensemble des terrains aménagés. Les prochains jours seront déterminants.
POLD LEVI MAWEJA.