Face au Rwanda, les FARDC haussent le ton

Assiste-t-on à une nouvelle escalade entre Kinshasa et Kigali? Peu avant jeudi 24 mars 2022, on avait de sérieuses craintes. Alors que nombre de Chefs d’État de la sous-région avaient fait jeudi 24 février le déplacement de Kinshasa en vue d’évaluer l’application de l’accord-cadre d’Addis-Abeba sur la paix, la sécurité et la coopération au Congo et dans la région des Grands Lacs signé il y a neuf ans, on a attendu en vain le président rwandais. Alors que ce dixième sommet était crucial, Paul Kagame était occupé ailleurs…
Autour du président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, étaient réunis pour ce sommet, après celui de 2018 à Kampala, le Sud-africain Cyril Ramaphosa, l’Ougandais Yoweri Kaguta Museveni, l’Angolais João Lourenço, le Brazza-congolais Denis Sassou Nguesso, le Centrafricain Faustin Archange Touadéra, le Burundais Evariste Ndayishimiye.
Présents au titre de représentants de signataires de l’Accord-cadre d’Addis Abeba : le président de la Commission de l’Union Africaine, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, le secrétaire général adjoint des Nations Unies en charge du maintien de la paix, le Français Jean-Pierre Lacroix. Signe ? Paul Kagame avait préféré se faire représenter…
Les relations entre Kinshasa et Kigali s’étaient-elles à nouveau dégradées? Toutes les sources l’attestaient, citant en illustration divers propos «méprisants» et «menaçants» du président rwandais à l’égard de son voisin de l’ouest.
Le 8 février 2022, à Kigali, à la prestation de serment de ses nouveaux ministres, Kagame parle du danger que fait peser sur son pays, la présence des FDLR, les Forces démocratiques de libération du Rwanda, à l’est du Congo: «Il y a un temps pour négocier et un temps pour trouver une solution sans demander la permission à qui que ce soit». Des propos restés sans réaction officielle à Kinshasa.
Mais jeudi 24 mars 2022, par son compte Twitter, le gouvernement rwandais annonce une «réunion cordiale et productive» à Aqaba, ville portuaire de la Jordanie, entre Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo et Paul Kagame, en marge d’un sommet, autour du Roi de Jordanie Abdullah II, des Chefs d’État sur la région d’Afrique de l’Est.
«Les chefs d’État ont tenu une réunion cordiale et productive sur la coopération bilatérale et régionale», écrit la présidence rwandaise sur son compte Twitter. Mais voici que quatre jours après, lundi 28 mars, Kinshasa annonce avoir arrêté deux soldats rwandais. Des arrestations intervenues lors d’une incursion du groupe rebelle M23 à Rutshuru, dans le Nord-Kivu.

ON NOUS «POIGNARDE DANS LE DOS».
L’armée est catégorique : le Rwanda soutient le M23. La déclaration devant la presse du porte-parole adjoint des FARDC également porte-parole du gouverneur militaire du Nord-Kivu est sans appel. Le général de brigade Sylvain Ekenge Bomusa Efomi accuse Kigali de «poignarder le Congo dans le dos». «Les Forces armées de la République démocratique du Congo portent à la connaissance de l’opinion nationale qu’internationale que, dans la nuit du 27 au 28 mars 2022, le M23 soutenu par les Forces de défense du Rwanda, a mené des incursions et attaqué les positions des FARDC de Tchanzu et Runyonyi dans le territoire de Rutshuru. Au cours de ces attaques, les forces armées ont mis la main sur deux militaires rwandais. Il s’agit de l’Adjudant Habyarimana Jean Pierre, matricule AP 27779, et du soldat de rang Uwajeneza Muhindi John, alias Zake, tous du 65ème Bataillon de la 402ème Brigade des Forces de Défense du Rwanda basés à Jarama, au Camp militaire Kibungo au Rwanda», déclare le général Ekenge.
«Au regard des informations fiables fournies par ces deux sources crédibles, poursuit le général, les FARDC s’interrogent sur le sens de la mutualisation des efforts en vue des opérations conjointes avec un partenaire qui ne respecte ni ses engagements vis-à-vis de la RDC et encore moins sa propre parole à l’occasion de différents rencontres et échanges entre les leaders à tous les niveaux, et avec la promesse de poignarder la RDC dans le dos. Quoiqu’il en coûte, les FARDC ne laisseront aucun centimètre de notre territoire sous occupation d’une quelconque rébellion».
A la suite de ça, le Gouvernement reprend la main. Sur TV5, la chaîne francophone, son porte-parole Patrick Muyaya Katembwe déclare : «Il était temps de mettre fin à cette hypocrisie ou cette forme de complicité qui existerait entre le M23 et le gouvernement rwandais». Puis, le lendemain, sur Rfi, il fait montre de gêne, rétropédale, priorise «le mécanisme de vérification dans la sous-région et la relation de paix»…
Si, par son gouverneur de la province de l’Ouest François Habitegeko, le Rwanda «réfute catégoriquement» les accusations congolaises, parle «d’accusations sans fondement», dénonce une «tentative de manipulation de l’opinion», explique que les noms des deux soldats rwandais avaient été mentionnés le 25 février, à Kigali, lors d’une rencontre entre les services de renseignements des deux pays quand Kinshasa dit qu’ils ont été capturés au front le 28 mars, cela n’empêche pas le ministère des Affaires étrangères de convoquer illico presto l’ambassadeur du Rwanda à Kinshasa «pour donner des explications ».
Reçu le 29 mars à Washington, le ministre rwandais des Affaires étrangères, Dr Vincent Biruta maintient la parole. Il réfute «catégoriquement les accusations de Kinshasa».
Plus grave, le même 29 mars, les FARDC annoncent que la rébellion du M23, également appelée «Armée révolutionnaire congolaise», a abattu «dans la zone qu’il contrôle», un hélicoptère de la mission des Nations-Unies, Monusco, avec à son bord huit Casques bleus, membres d’équipage, et observateurs des Nations unies. Pas une personne n’a survécu… L’appareil a été abattu «en pleine mission inoffensive d’évaluation des mouvements des populations causés par les attaques du M23 dans la région, en prévention des actions humanitaires à entreprendre», écrit, dans un communiqué, le porte-parole du gouvernorat militaire du Nord-Kivu.
Deux heures avant ce communiqué, la Monusco avait annoncé avoir perdu le contact avec un de ses hélicoptères déployés en mission de reconnaissance sur la colline Chanzu où d’intenses combats opposent l’armée congolaise à la rébellion du M23 qui aurait occupé les localités de Chengerero, Kabindi et Rwanguba sur l’axe Bunagana-Rutshuru-centre ainsi que d’autres villages du groupement Jomba. Mardi, les dernières positions connues du M23 se situent à environ 10 km de Rutshuru-centre, selon le baromètre sécuritaire du Kivu, projet de recherche de l’ONG Human Rights Watch et du Groupe d’étude sur le Congo, GEC. Dans un communiqué de la mission onusienne, la cheffe de la Monusco, Bintou Keita, «condamne avec la plus grande fermeté la nouvelle offensive des M23 au Nord-Kivu» et appelle à «leur reddition immédiate et sans condition».

KIGALI DIT «SOUTENIR LE CONGO A L’EAC».
Ancienne rébellion de Congolais d’ethnie tutsie soutenus par le Rwanda et l’Ouganda, le M23 avait été défait en 2013. Depuis le mois d’octobre, ce mouvement est accusé d’attaquer des positions de l’armée congolaise.
En 2013, le M23 avait pris le contrôle de la ville de Goma, chef-lieu du Nord-Kivu avant d’être militairement défait par l’armée appuyée par les Casques bleus onusiens.
Plus d’un millier de combattants M23 s’étaient retranchés au Rwanda et en Ouganda d’où ils réclament le respect des accords de Nairobi consacrant la réintégration dans la vie civile pour certains combattants et l’intégration dans l’armée pour d’autres. Le M23 accuse Kinshasa de ne pas respecter ses engagements.
Une escalade qui survient quand le Congo officialise ce 29 mars 2022 solennellement son entrée dans la Communauté des États d’Afrique de l’Est, dont le siège se trouve à Arusha, en Tanzanie. Aux côtés de l’Ouganda, de la Tanzanie, du Kenya, du Soudan du Sud,… du Rwanda. Avec ses 90 millions d’habitants, ses importantes ressources minérales, «l’entrée du Congo marque un moment capital dans l’histoire de l’intégration de la région», déclare Uhuru Kenyatta, le président en exercice de l’EAC, le chef de l’État kényan Uhuru Kenyatta, qui a officialisé l’adhésion du Congo lors d’un sommet extraordinaire en ligne des dirigeants des États membres. «L’EAC s’étend désormais de l’Océan Indien à l’Océan Atlantique, ce qui rend la région compétitive et facilite son accès à la plus grande Zone de libre-échange continentale», ZLEC, qui regroupe plusieurs sous-régions du continent), souligne le secrétaire général de l’organisation, Peter Mathuki. « Le Rwanda soutient l’admission de la RDC à l’EAC et se tient prêt à jouer son rôle pour soutenir son intégration dans l’organisation sous régionale », surenchérit Paul Kagame. Que/qui croire ?

D. DADEI.

Ulrich Valaki

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