Le Chef de l’État a annulé des rendez-vous à Washington pour regagner un pays en deuil
PARIS, BRUXELLES, KINSHASA.
Face à une aussi immense tragédie, il n’y avait aucune autre perspective pour le président de la République.
Parti prendre part à un sommet planétaire, d’une si haute importance se tenant dans la capitale fédérale américaine, aux côtés d’une cinquantaine d’homologues et de chefs de gouvernement – le US-Africa Leaders Summit qui ouvrait ses portes le 13 décembre pour les fermer le 15 décembre – et, patatras, apprendre dès son arrivée au matin de lundi 12 décembre qu’à la suite de l’inconscience de certains collaborateurs, votre capitale a été ravagée par une pluie avec à la clé des images d’une telle sauvagerie, d’une telle horreur, circulant sur la toile, visibles par tout le monde, montrant, en plein centre des affaires, des hommes, des femmes, des jeunes désespérés, luttant contre la mort, et d’autres, se déplaçant dans des sortes de pirogues de fortune pour essayer de survivre ? Congolais, ayons le courage de le dire : à un tel stade de la lutte contre le M23 et ses soutiens extérieurs, en premier, le Rwanda, c’est le pire qui puisse arriver à notre Président de la République.
Environ 142 morts (selon le comptage officiel provisoire), des dizaines de maisons emportées par des eaux, des voies de circulation effondrées, des véhicules ensevelies, etc., etc. Spectacle d’Apocalypse. Nul doute…
Face à une aussi immense tragédie, il n’y avait aucune autre perspective. Le président de la République Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo a dû revoir son agenda américain dont on imagine l’importance pour le pays pour regagner Kinshasa au plus vite et faire montre de sa compassion envers son peuple…
Dans un communiqué diffusé le 13 décembre à Kinshasa par son directeur de cabinet Guylain Nyembo Mbwizya, le Chef de l’État s’est dit «profondément attristé et peiné» de la perte de plusieurs de ces compatriotes et «de la désolation qui en résulte dans les familles respectives ».
Il a fait part de sa «pensée particulière pour chacune des familles éprouvées, auxquelles il adresse ses sincères condoléances» et «exprimé sa compassion et son soutien», en les assurant, «ainsi qu’à tous ceux qui ont perdu des biens, de la solidarité du Gouvernement».
UNE VIE C’EST D’ABORD UNE MOBILITÉ.
Il a déclaré, dans ce communiqué, avoir «instruit le Premier ministre à prendre toutes les dispositions idoines afin d’apporter un réconfort aux familles victimes» et appelé le gouvernement «à intervenir sans délai afin de rendre opérationnelle la route nationale n°1, tronçon Matadi-Kinshasa. Il en est de même des rivières et des égoûts de conduite d’eau pour lutter contre ces inondations ».
Au cours de la réunion qu’il a présidée à Washington en audioconférence avec le Premier ministre en présence des membres du gouvernement de sa suite, le président de la République a donné des instructions claires sur la prise en charge des victimes et surtout pour des mesures idoines à prendre afin que pareille sinistre ne se reproduise. Il a instruit le gouvernement de décréter trois jours de deuil national prenant cours le 14 décembre.
« Il fallait que le gouvernement et la ville de Kinshasa se rendent sur plusieurs sites pour faire le constat. Après ce constat, le Premier ministre venait de nous réunir pour faire le point sur tout ce que nous avons pu vivre. Le président de la République a demandé au Premier ministre qui, à son tour, nous a instruits de pouvoir présenter leurs condoléances les plus attristées à toutes les familles éprouvées ce jour », a déclaré le Vice-premier ministre en charge de l’Intérieur Daniel Asselo Okito.
Il a annoncé des démolitions sur des sites bien identifiés. Le gouverneur de la province de Kinshasa a été instruit de pouvoir identifier tous ces sites, de prendre un acte en conformité avec la loi. Et le plus rapidement possible, cela devra être fait.
Le plus important est la suite. Plus que jamais, il faut ouvrir des enquêtes, déterminer les responsabilités sur une tragédie qui est loin d’être naturelle, sanctionner mais surtout ouvrir une nouvelle page afin que plus jamais, ce qui s’est passé dans la nuit de dimanche 11 décembre à lundi 12 décembre ne se reproduise. Il faut non seulement au centre-ville mais aussi partout dans les communes de la Capitale où il y a eu des morts (et où il n’y a pas eu de morts), lancer des rencontres avec les habitants et trouver des solutions urgentes à ces catastrophes.
Une vie c’est d’abord une mobilité, c’est d’abord aller et venir. C’est avant tout les voies de communication. Ce sont les infrastructures. Voilà qui implique une vision, un cap, une mobilisation de moyens. Il est inacceptable qu’au moment où on compte une centaine de morts (près de 300 morts au dernier comptage officiel) dans les villages de Kishishe et de Bambo, dans le territoire de Rutshuru, au Nord-Kivu, à l’Est, on compte autant de morts à Kinshasa, dans la Capitale, à l’Ouest. Si les coupables des massacres à l’Est sont connus, ceux des morts de l’Ouest doivent être recherchés, identifiés et sévèrement punis au risque, au moment où la diplomatie congolaise, face à la guerre du M23, paraissait développer une stratégie gagnante, d’entendre reparler de malédiction congolaise.
Dans son message de compassion adressé le 13 décembre aux Congolais – aux Kinois – le Cardinal Fridolin Abongo Besungu, fraîchement de retour du Vatican, écrit entre autres : « Les pluies diluviennes qui se sont abattues sur la ville de Kinshasa dès les premières heures du 13 décembre 2022, ont une fois de plus, causé d’énormes dégâts humains et matériels, plongeant ainsi de nombreuses familles et communautés religieuses dans la désolation et l’émoi (…) Au-delà du caractère imprévisible des intempéries naturelles, j’estime qu’il devient de plus en plus urgent que l’Autorité urbaine procède sérieusement aux grands travaux d’assainissement, de réaménagement et d’urbanisation de la ville de Kinshasa afin de prévenir et de minimiser l’ampleur de telles catastrophes naturelles. Par ailleurs, notre responsabilité dans la gestion commune de notre environnement est aussi engagée ».
Mais Kinshasa est-elle toujours une ville ? La Capitale dispose-t-elle d’une politique d’urbanisation ? Si oui, laquelle? Quelle politique face aux eaux qui dévalent rues et avenues de la Capitale du pays? Comment faire qu’en sortant de leurs lits, les rivières ne viennent ravager les habitations et tuer les habitants ?
Les conducteurs de véhicules respectent-ils le code de la route ? Sinon, pourquoi ? Et comment remédier à cet état de choses ? Comment expliquer, par exemple, qu’un bus de transport en commun fonce dans une avenue transformée en lac, sans s’inquiéter le moins du monde et plonge dans la torpeur des personnes qui cherchaient un passage pour se sauver de la furie des eaux ? Faut-il laisser ces situations perdurer et s’imaginer que Dieu seul nous viendra un jour à l’aide sans aucune initiative volontariste de l’homme et… du dirigeant ? En clair, de l’État? Le gouverneur de la ville de Kinshasa, Gentiny Mbaka Ngobila, a-t-il conscience d’être à la tête d’une ville ? A-t-il une vision de cette ville? Est-ce une vision partagée ? Avec qui l’a-t-elle partagée? Qu’en pense l’Assemblée provinciale qui contrôle l’Exécutif provincial ? Qu’en dit le Gouvernement national? Cette politique, si elle existe, a-t-elle été financée ? Si oui, ces fonds ont-ils été utilisés à bon escient ou ont-elles été dilapidées ? Quid du programme «Kin Bopeto» ? Est-ce un simple chant ou une réalité ? Ce service fonctionne – s’il fonctionne – c’est sous le contrôle de qui? Quels moyens ce programme a reçus de l’État? À quels résultats cela a abouti ? Qu’en est-il des services de ramassage des ordures, de drainage des eaux, de curage des caniveaux? Appeler par simple communiqué à ne pas construire sur des sites dits aedificandi est certainement une façon de se donner bonne conscience.
ALUNGA MBUWA.