Contrat chinois, grosse tempête
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1576|mercredi 1 mars 2023.
L’IGF a mis le doigt sur une puante plaie?
Comment et pourquoi un service de l’État, couvert depuis quatre ans, d’autant de résultats, salué, dans le pays et dans le monde, pour son expertise avérée, son professionnalisme déroutant, peut-il soudain, être traîné autant dans la boue, être traité comme l’est, depuis peu, dans certains médias, dans certains réseaux sociaux, sur certains sites en ligne, l’Inspection Générale des Finances ? Qu’a fait l’Inspection Générale des Finances? A-t-elle touché sur un bras financier ? A-t-elle menacé ou menace-t-elle de sécher une machine financière vitale ? A-t-elle menacé de faire s’écrouler un système de mafia mais de qui ? Serait-ce une question de vie ou de mort ? Après quatre ans de travail, ce service de l’État qui dépend, selon ses statuts, directement du Président de la République lui-même, a-t-il atteint le cœur de la pieuvre ? Pourquoi cette tempête violente ? La Sicomines – pour dire «les contrats chinois» – est-elle la mine qui nourrit certains hommes politiques congolais mieux, un camp politique, au point que l’on assiste, depuis la publication du rapport de l’IGF, à une véritable levée de boucliers, avec une succession d’écrits dans les médias et de vidéos sur les réseaux sociaux? L’Inspection Générale des Finances a-t-elle mis le doigt sur une plaie puante ?
Il y a au Congo des choses qui étonnent, mieux, qui n’étonnent plus ! Hélas ! Il faut le dire.
Comment un service de l’État, couvert depuis quatre ans, d’autant de résultats, salué, dans le pays et dans le monde, pour son expertise avérée, son professionnalisme, peut-il soudain, au Congo, être traîné autant dans la boue si indûment, être traité comme l’est, depuis peu, dans certains médias, dans certains réseaux sociaux, sur certains sites en ligne, l’Inspection Générale des Finances ? Qu’a fait l’Inspection Générale des Finances ?
A-t-elle touché sur un bras financier ? A-t-elle menacé ou menace-t-elle de sécher une machine financière vitale ? A-t-elle menacé de faire s’écrouler un système de mafia mais de qui? Serait-ce une question de vie ou de mort ?
Après quatre ans de travail, ce service de l’État qui dépend, selon ses statuts, directement du Président de la République lui-même, a-t-elle, atteint le cœur de la pieuvre ? Pourquoi cette tempête violente ?
«Les contrats chinois» – comme on a nommé vulgairement la convention qui fonctionne depuis 2010 et lie la société d’État Gécamines SA et un groupement d’entreprises chinoises, GEC, représenté par une société nommée Sicomines – est-elle la mine qui nourrit certains hommes politiques congolais mieux, un camp politique, au point que l’on assiste, depuis la publication du rapport de l’IGF, à une véritable levée de boucliers, avec une succession d’écrits dans les médias et de vidéos sur les réseaux sociaux ? L’Inspection Générale des Finances a-t-elle mis le doigt sur une plaie puante ?
«VENDUS AU PLUS OFFRANT».
Les « médias » congolais et plus généralement les hommes politiques congolais ne sont-ils finalement que des militants payés, vendus au plus offrant, sans valeur, sans conviction ?
Si c’est le cas, que font les régulateurs du secteur ? Que fait la justice du pays? Que fait l’État ? Que font les élus ? Pourquoi ne remet-on pas en ordre le secteur des médias ? Pourquoi ne moralise-t-on pas, avec détermination, la prise publique de parole, celle des personnes connues, identifiées ?
«Quand la Sicomines vend, ils se partagent la part», accuse un diplomate à Kinshasa au courant du dossier. Cette Sicomines interpelle très clairement.
C’est là les questions que pose si bien le rapport de l’IGF. D’abord la constitution de cette société.
Alors qu’il s’agit d’une entreprise mixte constituée en avril 2008 sur le modèle «minerais contre infrastructures» (le Congo mettant ses gisements miniers à la disposition des Chinois, les Chinois s’engageant à ériger des infrastructures dans le pays), les Congolais qui ont signé cette convention d’une durée de vingt-cinq ans, ont accepté que l’État congolais soit hors-jeu.
Nul doute, ces Congolais ont fait passé en avant leurs intérêts personnels, ont joué la primauté de ces intérêts privés.
Dans la répartition des responsabilités au sein de la Sicomines, le Directeur Général est chinois ; le Directeur financier chinois ; le Directeur des Exportations chinois. Qu’est-ce que ces compatriotes ont accepté de laisser à l’État congolais? De quel poste le Congo s’est-il contenté depuis quinze ans que cette convention a vu le jour et fonctionne? Celui de Directeur général adjoint.
Or, quand le Directeur général chinois s’absente du pays, il cède l’intérim à un Directeur chinois, le financier ou en charge des Exportations. En clair, le Directeur général adjoint congolais est sans pouvoir réel. Encore qu’à la Sicomines, tous les instruments de travail sont paramétrés en chinois, langue qu’aucun Congolais ne sait comprendre.
TOUT ÇA CE SONT DES PRETS.
Quant au Conseil d’administration, il est constitué à 70% de Chinois. Ceux-ci imposent leur diktat à l’État congolais via la société d’État.
Dans la convention, à l’origine, la Gécamines SA devrait vendre 32% des minerais produits par la Sicomines. Le Conseil d’administration s’est saisi du dossier. Désormais, la Sicomines vend 100% de la production et elle les vend aux sociétés chinoises associées à la Sicomines.
Outre cela, depuis quinze ans que la convention fonctionne, les infrastructures érigées au Congo par les entreprises chinoises représentent 820 millions de $US quand cette convention prévoyait des investissements de 3,5 milliards de $US.
Si, en quinze ans, le Congo a reçu des infrastructures de 820 millions de $US, les Chinois ont, pendant cette période, empoché 7 milliards de $US.
Détail : ces 7 milliards de $US ne sont pas partis dans une banque en Chine. Ils ont été versés dans un compte à Dubaï, aux Émirats Arabes Unis. Compte bancaire découvert par l’Inspection Générale des Finances.
Quant à la banque chinoise Eximbank Of China, en quinze ans, elle a encaissé 1,5 milliard de $US. C’est auprès d’Eximbank Of China que les sociétés chinoises associées à la Sicomines, ont reçu des prêts évalués à 4,7 milliards de $US. Ce sont ces intérêts générés par ces prêts qui font le 1,5 milliard de $US encaissés par Eximbank Of China.
En clair, les sociétés chinoises n’ont pas apporté les capitaux frais promis. Elles ont levé des fonds et ont mis ces sommes dans l’exploitation de la Sicomines. Sur les 4,7 milliards de $US de prêts consentis par Eximbank Of China, les sociétés chinoises ont en effet affecté 3,9 milliards de $US à l’exploitation de la Sicomes et 800 millions de $US dans les infrastructures.
Il faut noter que si le Congo a mis ses gisements évalués à 90 milliards de $US à la disposition de ces sociétés, ces entreprises se sont offertes 68% des parts dans le capital de la Sicomines quand la Gécamines ne se contente que de 32%.
Autre avantage parmi d’innombrables consentis à la Sicomines par la partie congolaise guère au-dessus de tout soupçon, la Sicomines est exonérée totalement et la société bénéficie de la clause de libre rapatriement des devises. En clair, la Sicomines peut rapatrier les devises générées par la vente des minerais ou pas, elle n’enfreindra aucune règle. D’incroyables termes choquants parfois dénoncés par le FMI, le Fonds Monétaire International. Notamment la clause selon laquelle le Congo devrait rembourser 6 milliards de $US sur le bénéfice que le pays allait tirer de l’exploitation de ses gisements. La pression faite par le FMI a conduit à un avenant : c’est finalement 3,2 milliards de $US que le pays devrait rembourser pour la réception des infrastructures.
Mais les enquêtes de l’IGF poussent plus loin : elles découvrent d’une part que la Sicomines vend à moitié prix sa production aux sociétés chinoises du GEC et d’autre part que lorsque les minerais sortent du pays, le produit de la vente est divisé en deux. Une part va au compte d’exploitation de la Sicomines, l’autre va sur le fameux compte bancaire de Dubaï que les sociétés chinoises se partagent en ignorant totalement l’entreprise d’État.
Venons aux 820 millions de $US engagés par la Sicomines dans les infrastructures érigées au Congo.
DES PROJETS À DESSEIN SURFACTURÉS.
L’IGF révèle que sur ce volet, s’il existe des infrastructures qui ont vu le jour, elles sont à dessein surfacturées, nombre d’autres restent à réaliser.
C’est le cas de l’hôpital du Cinquantenaire qui a coûté, selon la Sicomines, 114 millions de $U quand des experts indépendants avancent le chiffre de 30 millions de $US; la réhabilitation du boulevard du 30 Juin à Kinshasa a été financé deux fois. D’une part, par la Sicomines (45 millions de $US), d’autre part, par le Trésor public congolais qui a décaissé 42 millions de $US à cette fin. Et comme si cela ne suffisait pas, la société SOPECO, entreprise appartenant au Chinois Simon Cong Maohuai, patron de l’hôtel Fleuve Congo, l’homme qui gère le péage sur la nationale n°1 au Kongo central et qui a négocié cette convention, réclamerait 30 millions de $US en vue de la poursuite des travaux. Un boulevard long de 6 kms a donc coûté 112 millions de $US.
Le tronçon Pont Kasavubu jusqu’à Assossa (boulevard Triomphal 1, partie de 1 km qui longe le stade des Martyrs) a coûté 25 millions de $US. Quant au boulevard Triomphal 2 (Palais du Peuple jusqu’à l’avenue du 24 novembre, soit 1,1 km), il a coûté 36 millions de $US. L’aménagement de l’esplanade du Palais du Peuple a coûté 20 millions de $US. L’avenue du Tourisme (hôpital des Lépreux jusqu’à la Maison Civile) a été facturée 30 millions de $US ; la route Lutendele non réalisée au quartier Mbudi à Kinshasa a consommé 20 millions de $US ; le stade de Bunia non réalisé (10 millions de $US), tout comme les stades de Goma et de Bukavu non réalisés, les deux projets ont fait décaisser chacun 10 millions de $US.
Dans les 820 millions de $US soit-disant mis à la disposition des infrastructures, l’Inspection Générale des Finances a constaté que 38 millions de $US de frais de fonctionnement avaient été comptabilisés comme dépenses d’infrastructures.
Pour l’Inspection Générale des Finances, sur ces 820 millions de $US, si on extrait les surfacturations et les projets non réalisés, le pays n’a, en réalité bénéficié de 420 millions de $US. Le reste soit 400 millions de $US est à mettre à la surfacturation.
Comment finalement, face à cet état de faits, des Congolais ne puissent comprendre qu’un service de l’État dont c’est la mission, procède à des «redressements» dans l’intérêt supérieur du pays ?
Que finalement demande l’Inspection Générale des Finances ? Ce service part du fait que dans la convention, les entreprises chinoises ayant promis 3,2 milliards de $US d’infrastructures quand à ce jour, elles n’ont réalisé que 820 millions de $US, étant donné qu’il ne reste que dix ans à ce contrat, vu le grand retard accumulé dans le déblocage des fonds, l’IGF réclame l’accélération de la procédure de financement.
En vue de sauvegarder les intérêts du pays que défend l’IGF et que doit défendre tout Congolais, considérant les énormes gains réalisés par les sociétés chinoises rassemblées au sein du GEC, l’IGF préconise la révision à la hausse des fonds destinés aux infrastructures, les faisant passer de 3,2 milliards à 20 milliards. Ce qui apparaît certes comme une position de négociation.
Faut-il, pour ce travail d’expert, visant à sauvegarder les intérêts du pays, couvrir l’IGF d’opprobre plutôt que d’en féliciter ces fonctionnaires ? Comment être Congolais et agir de cette manière vis-à-vis des fonctionnaires de son pays qui ne font que privilégier, dans chaque cas, les intérêts de l’État ?
Selon nos informations, à Pékin, les responsables chinois seraient très remontés contre ce regroupement d’entreprises.
Des sources rapportent que si un diplomate chinois à Kinshasa dit avoir «appris avec stupéfaction la publication du rapport sur le contrat chinois» (…), disant son « regret de constater que le rapport, dont le contenu est plein des préjugés, ne correspond pas à la réalité, ne peut pas être considéré comme crédible et n’a pas de valeur constructive», il y aurait dans ce texte chinois des intérêts mêlés.
Ce communiqué poursuit : « De plus, les critiques et mesures justifiées mises en œuvre contre la Sicomines nuisent au bon fonctionnement de cette entreprise et du Projet de Coopération, portant atteinte en définitive aux intérêts du pays et du peuple congolais ». Puis : « La RDC est un État de droit où le droit de la défense est consacré et garanti par la Constitution. En particulier, la sécurité des investissements privés, nationaux ou étrangers, est garantie en RDC et les engagements pris à l’égard des investisseurs ne peuvent être bafoué ».
Toutes les sources font voient dans ce texte des intérêts mêlés.
«Si vous voulez atteindre Tshisekedi, si vous voulez affaiblir le régime Tshisekedi, il vous suffit de viser l’IGF et son patron, l’Inspecteur Général-Chef de Service, Jules Alingete Key», confie un diplomate à Kinshasa.
T. MATOTU.