Une Américaine KaLeigh

Une Américaine KaLeigh

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.

Le Soft International n°1585|LUNdi 26 JUIN 2023.

Long jette le pont entre Kinshasa et Oklahoma dans les batteries.

 

Ancienne lobbyiste, KaLeigh Long, une Américaine originaire de l’État de l’Oklahoma, s’est reconvertie dans le raffinage des métaux de batterie. Grâce à son réseau au sein de l’establishment républicain, cette femme d’affaires a pu lever la moitié des fonds pour la construction d’une usine dans son État. Et ses connexions à Kinshasa lui ont permis de nouer des liens cruciaux pour s’approvisionner en minerai.

À 29 ans seulement, l’Américaine KaLeigh Long est à l’origine du premier et, pour l’instant, du plus avancé des projets de raffinerie de cobalt et de nickel aux États-Unis, mené par Westwin Elements. Cette société qu’elle a fondée en mars 2022 doit débuter dans les prochains mois la construction de ses installations industrielles à Lawton, dans le sud-est du très conservateur État de l’Oklahoma, d’où l’entrepreneuse est originaire.

D’après la jeune patronne, qui a déjà levé 54 millions de $US de financements pour Westwin Éléments, la raffinerie pourrait démarrer sa production dès le début de l’année 2024.

Outre le cobalt et le nickel dans leur forme métallique, la structure doit aussi produire du sulfate de cobalt et de nickel, matériaux utilises par les fabricants de batteries de véhicules électriques.

 

Contrat d’achat de cobalt avec la Somika.

Pour cela, l’Américaine doit nécessairement s’assurer d’approvisionner sa raffinerie en minerais de cobalt et nickel, quasi-absents du sous-sol des États-Unis d’Amérique. Pour le cobalt, elle cible logiquement le Congo, qui produit actuellement près de 70% de ce minéral. KaLeigh Long a d’ores et déjà signe un contrat d’approvisionnement en hydroxyde de cobalt avec la Somika, la Société minière du Katanga, fondée et présidée par l’Indien Chetan Chug, et installée près de Lubumbashi, Haut-Katanga. La concrétisation de cet accord est conditionnée à un audit de conformité des processus de production de la Somika aux normes de l’OCDE, l’Organisation de Coopération et de Développement Économique basée à Paris, même si l’entrepreneuse estime que cela ne devrait pas poser problème.

C’est grâce à son passé d’activiste au sein d’ONG américaines conservatrices – y compris le puissant lobby anti-avortement National Pro-Life Alliance – que cette chrétienne évangélique, affichant une foi sans réserve, a noué des liens avec Kinshasa. La jeune patronne de Westwin Elements affirme avoir effectué plusieurs séjours au Congo en 2016 et 2017, à Kinshasa, lors de missions «pour des ONG sur des sujets touchant aux droits humains», même si elle ne souhaite pas préciser la nature des projets menés.

KaLeigh Long indique avoir ensuite milite pour l’élection du président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, lui aussi chrétien évangélique. Elle montre volontiers des photographies sur lesquelles elle apparaît en sa compagnie lors de son investiture du 25 janvier 2019, et s’enorgueillit d’avoir ensuite travaillé à asseoir la réputation du président congolais aux États-Unis au lendemain de son élection, sans vouloir donner davantage de détails sur cette mission.

 

Proche des milieux ultra-conservateurs amÉricains.

Avant de lancer Westwin Elements, KaLeigh Long était lobbyiste au Congrès américain. Très engagée aux côtés du Parti républicain, elle a travaillé notamment pour Conservative Leadership, un comité d’action politique qui a financé la campagne d’une dizaine de candidats du Grand Old Party à la Chambre des représentants.

Selon le journal américain E&E Daily, elle a également exercé une activité de consultante politique pour des candidats républicains à travers sa société End Game Consulting, et, via Westwin Enterprises, pour divers clients sur des levées de fonds et des campagnes de communication au niveau national et international.

Elle a aussi effectué une prestation de conseil en juin 2018 au profit du Professeur Tryphon Kin-kiey Mulumba, lorsque ce dernier, ancien ministre des Postes, Télécommunications et Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication, puis des Relations avec le Parlement sous Joseph Kabila, envisageait de se présenter à la présidentielle au Congo. L’Américaine, alors basée à Washington, avait organisé pour le candidat des rencontres avec les représentants républicains au Congrès Francis Rooney (Floride) et Dana Rohrabacher (Californie). Après s’être retiré de la course en se rangeant derrière la candidature de CACH, Cap pour le Changement, Félix Tshisekedi en décembre 2018, Tryphon Kin-kiey Mulumba est resté en contact avec elle.

Si la présence de KaLeigh Long lors de la prise de fonction de Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo fin janvier 2019 est avérée, son rôle de lobbyiste pour les nouvelles autorités après cette date n’est pas confirmé. En revanche, elle a bien revu Tryphon Kin-kiey Mulumba aux États-Unis en 2022 à Washington pour lui parler de son projet de raffinerie de cobalt, qui mobilise désormais toute son attention.

L’homme politique congolais, patron du Parti pour l’Action, qui a renouvelé son soutien au Chef de l’État congolais début 2023, a facilité par la suite une rencontre à New York sur ce dossier avec Nicole Bwatshia Ntumba, la directrice adjointe du cabinet du président congolais, chargée des questions politiques, juridiques et diplomatiques.

Plus récemment, l’Américaine était au Cobalt Congress à Istanbul, en Turquie, du 9 au 11 mai, où elle a pu échanger avec la ministre des Mines Antoinette N’Samba Kalambayi et avec plusieurs autres acteurs congolais de la filière, qui avaient aussi fait le déplacement. Bien que républicaine convaincue, la dirigeante de Westwin Elements entend bien bénéficier de l’Inflation Reduction Act (IRA) mis en place par le président américain démocrate Joe Biden, contre qui elle s’est mobilisée lors de la dernière présidentielle. Ce programme prévoit des crédits d’impôt majeurs pour les groupes implantes aux États-Unis dans les filières de la transition énergétique. Il les laisse également espérer des ventes importantes dopées par des subventions aux consommateurs américains achetant un véhicule électrique – jusqu’à 7.500 $US par unité – à la condition expresse que la plupart de ses composants, et en particulier ceux de sa batterie, aient été fabriques sur le sol américain.

 

Enterprise patriotique face à Pékin.

Jusqu’à présent, les batteries de véhicules électriques sont fabriquées en quasi-totalité en Chine, y compris celles de la marque américaine Tesla du puissant milliardaire Elon Musk (né le 28 juin 1971 à Pretoria en Afrique du Sud, entrepreneur, chef d’entreprises, milliardaire sud-africano-canado-américain, cofondateur et président-directeur général de la société astronautique SpaceX, directeur général de la société automobile Tesla et patron de Twitter, cité en janvier 2021 par Bloomberg, comme l’homme le plus riche du monde, avec, à 49 ans, une fortune estimée à plus de 192,3 milliards de $US).

C’est donc toute une filière qui doit se mettre en ordre de bataille pour être capable de les produire aux États-Unis. Et KaLeigh Long, qui présente Westwin Elements comme une entreprise patriotique permettant de réduire la dépendance de son pays à Pékin, entend bien être aux avant-postes pour en profiter.

Pour lever des fonds pour sa société, la jeune patronne américaine s’est clairement appuyée sur son réseau influent au sein de l’establishment républicain. Son entreprise est soutenue par plusieurs ténors du parti, notamment Byron Donalds, représentant de la Floride au Congrès, qui milite pour que l’approvisionnement des groupes américains de défense, qui ont également des besoins en cobalt, soit l’apanage de sociétés telles que Westwin Elements, implantées sur le sol américain et subventionnées par l’Etat fédéral.

Dave Brat, ancien représentant de la Virginie, et Nick Freitas, élu du même parti a la Chambre des délègues de cet État, sont tous deux des dirigeants de Westwin Elements. Dennis Muilenberg, baptiste très affirme et ancien P-dg de Boeing de 2015 à 2019 (c’est lui qui avait du gérer le crash du Boeing 737 Max 8 d’Ethiopian Airlines en mars 2019), a pris des parts dans la société et en préside le conseil d’administration. De leur côté, l’Etat de l’Oklahoma, dont le gouverneur est le républicain Kevin Stitt, et la ville de Lawton ont décidé d’appuyer Westwin Elements. Très libéral sur le plan économique et peu contraignant sur le plan environnemental et social, l’Oklahoma est vu par KaLeigh Long comme une juridiction bien moins risquée que les États « bleus », acquis au Parti démocrate.

 

Partenaire canadien dans le nickel.

La raffinerie, dont le coût de la première phase est estime a 105 millions de $US, doit être construite en partenariat avec la société d’ingénierie industrielle et minière canadienne CVMR, actionnaire a 35 % du projet. Pilotée par Kamran Khozan, elle s’est positionnée sur les technologies d’extraction et de transformation dans les filières des matériaux destines a la fabrication de batteries de véhicules électriques. Elle détient notamment des permis d’exploration au Burundi et des parts dans le projet ivoirien de nickel de Sama Resources.

Pour l’approvisionnement en cobalt, la solution congolaise est privilégiée, mais pour le nickel, Westwin Elements regarde également les autres opportunité présentes sur le continent. Cela pourrait justement être par l’intermédiaire de CVMR, s’il réussit à faire avancer ses projets extractifs, ou bien via des contrats d’approvisionnement signes en direct avec des miniers, comme celui conclu avec la Somika. De cette manière, KaLeigh Long entend se passer des coûteux services des grands traders de cobalt et de nickel qui dominent ces deux marches, notamment les suisses Glencore et Trafigura.

Christophe Le Bee

Africa Intelligence.

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