La démocratie est-elle en jeu?

La démocratie est-elle en jeu?

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.

Le Soft International n°1603|LUNDi 19 FÉVRIER 2024.

Plus de quatre milliards de personnes pourront voter cette année dans plus de soixante pays. Face à la crainte d’un recul de la démocratie, des experts expliquent les différentes manières dont le processus électoral peut être corrompu et comment le repérer.

 

Qu’est-ce que l’intégrité électorale? C’est lorsque l’ensemble du processus électoral reflète la volonté des électeurs et la manière dont ils votent, déclare Riccardo Chelleri, fonctionnaire électoral de l’Union Européenne.

Il explique que les citoyens doivent pouvoir avoir confiance dans le processus afin de se rendre aux urnes le jour de l’élection. « L’élection doit se dérouler de manière transparente afin que chacun dispose des informations dont il a besoin», déclare-t-il. L’homme qui travaille pour la division Démocratie et Observation électorale du service extérieur de l’Union européenne, SEAE, poursuit : « L’élection doit être ouverte à tous. Il ne s’agit pas seulement de permettre aux électeurs de voter. Il s’agit aussi de permettre à tous les partis politiques de participer, de faire campagne sans violence».

Professeur de démocratie à l’Université de Birmingham Royaume-Uni, coauteur du livre How to Rig an Election (Comment truquer une élection), Nic Cheeseman explique que ses recherches montrent que la qualité des élections, où les candidats et les citoyens peuvent participer librement et où les votes sont comptés avec précision, est en déclin dans toutes les régions du monde. Il y a un risque que les élections de mauvaise qualité deviennent la norme, ajoute-t-il.

«Aucune élection n’est parfaite, mais des élections de qualité permettent aux électeurs de choisir leur gouvernement et de demander des comptes à leurs dirigeants», déclare ce professeur.

 

LES JUGES N’ONT PAS SUIVI TRUMP.

Qu’est-ce que la manipulation électorale ? Le processus électoral commence le lendemain d’une élection et se poursuit jusqu’à l’élection suivante. Selon les experts, la manipulation des électeurs peut se produire à n’importe quel moment de ce cycle. « Seuls les amateurs truquent les élections le jour même. Les professionnels manipulent les élections un an à l’avance», poursuit le professeur.

Parmi les techniques utilisées, le gouvernement au pouvoir utilise les forces de sécurité pour intimider l’opposition, censure les médias pour empêcher l’opposition de faire passer son message et modifie le processus d’inscription sur les listes électorales pour favoriser les partis au pouvoir. «Ce qui se passe généralement, c’est que le pouvoir en place nomme des juges qui ne sont pas indépendants, de sorte qu’aucun recours contre les résultats finaux n’est accepté», explique Riccardo Chelleri.

Cela dit, malgré les craintes répandues, cela ne semble pas s’être produit aux États-Unis. Alors que le président républicain Donald Trump avait nommé trois juges à la Cour Suprême, donnant à celle-ci une majorité conservatrice de 6-3, ceux-ci s’étaient massivement prononcés contre lui dans les procès qu’il a intentés pour contester sa défaite à l’élection présidentielle de 2020 face à Joe Biden.

Une autre technique de manipulation des élections est le «gerrymandering», qui consiste à redessiner les circonscriptions électorales au profit d’un certain groupe. Les partis au pouvoir ou les gouvernements peuvent également utiliser des fonds publics pour soutenir la campagne du candidat sortant, diffuser de la désinformation pour discréditer le processus électoral ou acheter des voix.

«Aux États-Unis, le charcutage électoral, la suppression d’électeurs et la désinformation suscitent de vives inquiétudes», explique le professeur Cheeseman.

«Nous avons déjà vu un faux message numérique manipulé pour ressembler au président Biden et dire aux gens de ne pas se donner la peine de voter, et nous ne sommes même pas encore dans le feu de la campagne».

La désinformation, la manipulation électorale et la violence politique risquent également de se produire lors des élections au Salvador, en Inde et au Sri Lanka, ajoute-t-il.

Qu’est-ce que la fraude électorale ? Il s’agit de la tentative de modifier le résultat d’une élection une fois que les votes ont été exprimés. Il peut s’agir de placer des bulletins de vote pré-remplis dans les urnes, de modifier le décompte des voix une fois les votes exprimés ou de détruire les urnes pour annuler les votes de l’opposition.

Au cours des trois jours de scrutin des élections législatives de 2021 en Russie, des allégations de fraude électorale généralisée ont été formulées, notamment des bourrages d’urnes et des menaces à l’encontre d’observateurs électoraux. Des vidéos largement partagées en ligne ont montré des personnes en train de bourrer des papiers dans des urnes. Toutefois, le gouvernement russe a déclaré qu’il n’avait pas enregistré de «violations significatives». Mais si vous contrôlez totalement le processus, vous pouvez tout simplement «mentir»», explique Cheeseman.

Selon lui, le trucage des votes peut se produire n’importe où, y compris dans les pays dotés d’un système électoral solide. Dans ces pays, des observateurs nationaux et des agents des partis politiques sont généralement présents dans de nombreux bureaux de vote, afin d’enregistrer les votes et de comptabiliser leurs propres résultats.

Nic Cheeseman cite l’élection présidentielle de 2016 au Ghana, où les partis d’opposition ont utilisé une application de téléphonie mobile pour aider à collecter les résultats. En Zambie, en 2021, des observateurs nationaux et des groupes religieux ont collaboré avec la communauté internationale pour dresser une liste parallèle des résultats. Cela a fait pression sur la commission électorale pour qu’elle publie des résultats similaires. Cependant, cette tâche s’est compliquée au cours des dix dernières années, explique Cheeseman, car les gouvernements autoritaires ont adopté des lois visant à limiter les activités de la société civile et des ONG au cours du processus électoral. De plus, les observateurs électoraux n’assistent qu’à la dernière partie du processus électoral, selon Riccardo Chelleri, et ne peuvent pas empêcher les fraudes commises à un stade antérieur.

Les partis d’opposition peuvent-ils commettre des fraudes électorales? L’opposition peut également faire des choses «sournoises» et s’en tirer, explique le professeur Nic Cheeseman.

«Quelqu’un comme Donald Trump, qui est actuellement dans l’opposition, peut lancer toutes sortes d’allégations, certaines vraies, la plupart fausses, et s’en servir pour tenter de saper le gouvernement», explique-t-il.

Les démocraties sont-elles finalement en danger ? «Ne nous faisons pas d’illusions. Nous traversons une mauvaise période pour la démocratie dans le monde», déclare Riccardo Chelleri, fonctionnaire de l’Union européenne. «Je pense qu’il y a eu une récession démocratique au cours des cinq dernières années».

Selon lui, les facteurs à l’origine de cette récession sont notamment la faiblesse de l’économie et l’influence négative des médias sociaux sur la propagation des théories du complot. Cheeseman estime que l’avenir de la démocratie dépend du résultat des élections de cette année.

«Si les gens vivent dans une démocratie où les élections sont toujours truquées, tôt ou tard, ils commenceront à se poser des questions. Quel est l’intérêt de voter ou de participer à la vie politique si le système ne nous permet jamais de faire un véritable choix ?»

Issariya Pr.

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