À la Céni, déjà la guerre?

À la Céni, déjà la guerre?

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.

Le Soft International n°1593|MARdi 12 SEPTEMBRE 2023.

Ils s’entre-accusent désormais de tous les maux. À la CÉNI, est-ce (déjà) la guerre? Certes, pour l’heure, il ne s’agit que d’«une suspension administrative» mais «une suspension administrative pour faute lourde». Cette suspension restera-t-elle «sans effet»? – l’expression est de Denis Kadima Kazadi lui-même prononcée le vendredi 1er septembre 2023, le jour du go de la présidentielle, qui traversera l’Histoire et lui collera à la peau quoi qu’il en coûte, quoi qu’il advienne de ce processus électoral – même si cette suspension est levée dans les quinze jours, comme on s’y attend ?

À la Commission Électorale Nationale Indépendante, que ne dit-on pas ? Que n’entend-t-on pas? Que ne craint-on pas? Tiendra, tiendra pas ses promesses du 20 décembre 2023 ?

Le 1er septembre 2023 comme déroulé dans son agenda électoral, le Président de la CÉNI l’a répété pour la énième fois à haute et intelligible voix dans une salle Malumalu tout ouïe: «Je tiens à rassurer l’opinion publique que les élections générales se tiendront le mercredi 20 décembre 2023».

Ce 1er septembre, tous les membres de son bureau et ceux de sa plénière étaient collés-serrés. Tous – sauf lui-même – vêtus d’un par-dessus bleu assorti au dos chacun de son titre pour s’identifier et d’une casquette frappée du logo CÉNI, signe d’unanimité, le moins que l’on puisse dire, le Président de la Commission Électorale Nationale Indépendante a, devant la classe politique, devant trois ou quatre diplomates, devant les médias, déroulé le tapis de la logique à laquelle il croit depuis un début somme toute cafouilleux qu’a marqué sa prise de fonctions.

 

« SANS EFFET ».

Il vante sa ligne. « Nous sommes convaincus que ce quatrième cycle électoral va élever le standard en matière électorale et ainsi contribuer à la consolidation de la démocratie et de la paix dans notre cher pays (…) La vision de la CÉNI est celle de devenir une CÉNI de standard mondial qui imprime une culture démocratique pérenne en République Démocratique du Congo. Nous aspirons aussi bien avec humilité qu’avec détermination à être un modèle de gestion électorale qui va inspirer et émuler les équipes qui nous succéderont à la CÉNI ainsi que nos sœurs et frères d’autres pays africains et au-delà ».

Puis, toujours dans son même timbre de voix monocorde, comme un peu naïf qui le distingue de tous ses trois prédécesseurs – Abbé Apollinaire Malu Malu Muholongu, le pasteur Ngoy Mulunda Nyanga, Corneille Nangaa Yobeluo – il poursuit : « À ceux qui pensent ou même espèrent que la CÉNI va conduire le processus électoral et plus précisément la gestion et la publication des résultats électoraux, dans l’opacité et de manière partisane, se détrompent. La CÉNI ne souscrit pas à cette négativité. Il s’agit d’un procès d’intention qui jusqu’à ce stade du processus, s’est avéré sans fondement. Nous avons donc géré avec professionnalisme et honnêteté la cartographie opérationnelle, la refonte du fichier électoral, la répartition des sièges, ainsi que les candidatures ».

Puis : « L’équipe que je dirige travaille avec intégrité et le fait ainsi par conviction. Nous sommes convaincus que ce quatrième cycle électoral va hausser le standard en matière électorale et ainsi contribuer à la consolidation de la démocratie et de la paix dans notre cher pays».

Sur le même ton, il note : «Le fichier électoral est complété; les candidatures pour les législatives et les communales ont été déposées. Il ne reste plus qu’à recevoir les candidatures pour la présidentielle et tel est notre message aujourd’hui».

Il rappelle ce qu’il a plus que jamais en tête : « Des élections crédibles, inclusives, transparentes et apaisées ». Dans une salle Abbé Malumalu pleine comme un œuf prise d’assaut par les Églises du Réveil, kimbanguiste, musulmane placées au devant et qui ont adoubé ce processus électoral, boycottée par deux Églises, catholique et protestante, qui continuent de contester ce président de la CÉNI, il prononce deux mots entendus ces dernières années au Congo dans les Églises ou dans la rue quand des croyants voient alentour un prophète ou un vent de malheur.

« Sans effet », assène-t-il contre « ces prophètes de malheur» qu’il identifie comme ceux « qui espèrent et affirment à haute voix que la CÉNI sera la cause d’un violent conflit post-électoral qui justifierait une grave instabilité politique et qui conduirait à un changement de régime antidémocratique ».

Trop souvent c’est quand on croit que tout est parfait que le clash – la faute – arrive. Par inadvertance ?

Le 6 septembre, Denis Kadima Kazadi a donc suspendu pour «faute lourde» et «insubordination», le Secrétaire National Exécutif de la Commission Électorale Nationale Indépendante, Thotho Mabiku Totokani, le Secrétaire National Exécutif, SNE, l’homme au cœur de l’institution électorale. «Une sanction administrative de 15 jours conforme au règlement administratif et financier de la CÉNI», argumente-t-on à la centrale électorale.

Le SNE n’est pas n’importe qui à la CÉNI. Sous la supervision du bureau de la CÉNI, c’est l’homme en charge de «mettre en œuvre les décisions de la Commission Électorale Nationale Indépendante ; de coordonner les activités administratives et techniques des Directions techniques des Secrétariats exécutifs provinciaux, SEP, et des Antennes ; de répercuter auprès des Directions techniques des Secrétariats exécutifs provinciaux, SEP, et des Antennes, les différentes orientations, décisions et instructions de l’Assemblée plénière ou du bureau et de veiller à leur bonne exécution; de préparer les dispositions pratiques de mise en œuvre des orientations, décisions et instructions de l’Assemblée plénière ou du bureau ; de préparer l’exécution des plans, des programmes et des activités électorales; d’observer la neutralité et ne solliciter ni accepter d’instructions d’aucune autorité autre que la CÉNI dans l’exercice de ses fonctions » (loi organique n°10/013 du 28 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de la Commission Électorale Nationale Indépendante telle que modifiée et complétée par la Loi organique n°13/012 du 19 avril 2013 et la Loi organique n° 21/012 du 3 juillet 2021).

À trois mois des scrutins, cette sanction n’est-elle pas préjudiciable au bon déroulement des opérations ?

 

QUELLE IMAGE ?

N’est-elle pas suspecte? Ne tombe-t-elle pas au pire moment ? Quelle image projette-t-elle de la centrale électorale nationale ?

Au fond, quel acte (quels actes) a posé (s) Totokani qui lui vaut (qui lui valent) cette sanction ?

Il est clair que nul ne saura jamais rien de ce qui justifie cette suspension hormis le président Denis Kadima Kazadi lui-même. Certes, des accusations sont entendues selon que l’on prête l’oreille à l’un ou l’autre camp. Des accusations qui inquiètent.

Depuis la nomination début janvier 2022 de Thotho Mabiku Totokani que Denis Kadima a vanté dans un texte peu après – « il possède une grande maîtrise des systèmes informatiques et des bases de données ; il a travaillé comme cadre et expert-consultant dans plusieurs entreprises multinationales œuvrant dans le secteur des finances, de la recherche et de la préparation électorale ; il est réputé intègre, rigoureux et discipliné dans son travail ; sa longue expérience et ses compétences sont des atouts majeurs pour aider la CÉNI à garantir et assurer harmonieusement ses missions d’offrir à la RDC des élections véritablement libres, indépendantes et transparentes» – jamais, les deux hommes n’ont vraiment eu une compréhension en partage.

Si tous les deux viennent des milieux du parti présidentiel l’UDPS – Thotho Mabiku Totokani fut l’un des délégués de l’UDPS aux Etats-Unis – leurs relations sont « réputées tendues » ; «ils vivent une relation de suspicion permanente»; « ils ont rarement émis sur une même longueur d’ondes, notamment au niveau éthique». Pire, à la CÉNI, Thotho Mabiku Totokani est présenté comme l’homme à la base du scandale des kits d’enrôlement trouvés dans des résidences de certaines personnalités politiques ; il aurait distribué à qui il voulait ces machines d’enrôlement.

Mais des proches de Totokan ne manquent pas de punch.

Ils voient le président de la CÉNI « pas droit et loyal avec le Régime mais au service de l’opposition».

Ils pointent le dernier cercle de ses conseillers. Tel le juriste Dave Banza.

Cet ancien directeur de cabinet de l’ex-président de la CÉNI Daniel Ngoy Mulunda, un proche de Jaynet Kabila, la sœur jumelle de l’ex-président de la République, Banza est du Haut Katanga comme ses mentors. Désigné par Kadima pour effectuer une mission officielle dans le Haut Katanga quand Banza y entretient des accointances avec nombre d’acteurs politiques, cette interférence notamment dans le déploiement du personnel chargé de gérer les opérations des contentieux dans les secrétariats exécutifs provinciaux a été dénoncée par Thotho Mabiku Totokani. Est-ce la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ? Certes, Dave Banza fut aussi conseiller principal au Collège juridique de l’ex-président de la CÉNI Corneille Nangaa Yobeluo. Donc, s’il ne manque pas de compétences, des proches du SEN le prennent pour une taupe. Et il ne serait pas le seul.

Si, contre son président Denis Kazadi, le SEN Thotho Mabiku Totokani porte des coups qui font très mal, peut-il gagner ce qui est clairement une guerre déclenchée au sein de la CÉNI ?

D.DADEI.

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