Union sacrée et après?

Union sacrée et après?

Du principe légitime de conservation démocratique du pouvoir politique.

La menace de dissolution de l’Assemblée Nationale qui a fait lundi 15 mars sa rentrée est une perspective toujours sur la table. C’est un top du premier cercle présidentiel qui le dit au « Soft International » invoquant l’article 147 de la Constitution. Irrésistible dissolution. Tentation supplice de Tantale. Si l’homme balaie d’un revers de la main le retard dans la publication de la liste du Gouvernement, il explique que jamais depuis l’indépendance du pays en 1960, un Exécutif n’a été aussi difficile à mettre en place face à un nombre aussi élevé de regroupements politiques (une quarantaine) et de personnalités éligibles au partage quand pour des impératifs économiques, la taille de l’équipe fond comme neige au soleil. En même temps, le Premier ministre Jean-Pierre Sama Lukonde Kyenge n’a pas de délai butoir tout en ayant foi en la nécessité de compréhension des acteurs en vue d’accélérer la fumée blanche. Or, c’est précisément le problème. Chacun veut une place au soleil et réclame des portefeuilles juteux. Si certains appellent à privilégier l’intérêt national, il faut distinguer intérêts réels du pays et intrigues de cour, rappeler qu’en politique, il n’existe pas de cadeau, seul l’apport au résultat emporte le mérite. S’il y a des hommes qui se distinguent dans l’habilité à prendre le vent en se précipitant au ralliement, la question est de savoir à l’heure de l’ouverture, qui a fait quoi aux premières heures quand la coalition électorale CACH était unanimement moquée et qui est susceptible de faire quoi demain parce que représentant quoi quand le Président qui dispose de son libre arbitre, a besoin de changer pour entreprendre de « grandes choses », propose une autre politique ? C’est finalement quoi l’Union sacrée de la Nation ? – ce n’est plus une question taboue – à quoi sert-elle si quand arrive le moment de récolter le fruit d’une stratégie déployée, le pays se retrouve à la case départ, le chacun pour soi, Dieu pour tous triomphant, comme cela s’installe désormais ? Si, dans cette hypothèse, la démocratie sort gagnante, que reste-t-il du principe de l’ambition légitime de conservation démocratique du pouvoir, à la base d’une démarche de conquête du pouvoir ? L’Histoire étant un perpétuel recommencement, pour citer le Grec Thurydide, le spectre d’un désastre électoral de type Chirac-De Villepin laisse redouter de grosses frayeurs.

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Tous rejoignent l’annonce du Président de la République. En rangs serrés, en cartels politiques ou tribaux, ils se jettent, tête baissée, tous dans la course, chacun voulant courir plus vite pour battre l’autre.
Elle a marché. La stratégie TSK – Tout Sauf Kabila – a fonctionné. Elle avait été inventée, débattue et adoptée par applaudissements en banlieue bruxelloise début juin 2016 aux travaux du Conclave de l’Hôtel Martin’S Château du Lac à Genval lors de la plus grande rencontre anti-Kabila que l’opposition rassemblée dans toutes ses strates ait jamais organisée, adoubée cette fois, par des chancelleries occidentales – les libéraux belges faisant le guet – et qui donna lieu au plus vaste Rassemblement de forces politiques et sociales acquises au changement, en abrégé Rassop, ponctué par un appel sans équivoque et très applaudi du leader historique de l’opposition Étienne Tshisekedi Wa Mulumba qui consistait à se rassembler en vue de « chasser (du pouvoir) qui vous savez».

UN EXPLOIT QUI TRAVERSERA LES ÂGES.

Cette stratégie déployée publiquement un mois plus tard, dans la Capitale lors du meeting monstre du 27 juillet 2016, qui fut une véritable démonstration de force présidé par Etienne Tshisekedi, fut brusquement stoppée huit mois plus tard, avec la disparition le 1er février 2017 de l’icône.
Devant plusieurs dizaines de milliers de Kinois, Tshisekedi avait exigé la tenue de la présidentielle «dans les délais», le départ de Kabila du pouvoir dont c’était le troisième mandat s’il faut compter celui obtenu à la mort de son père, renouvelé au dialogue inter-congolais de Sun City, et, «un vrai dialogue inclusif sans Kabila» alors que se tenait dans la Capitale, sur les hauteurs de la ville, un dialogue à la Cité de l’Union Africaine modéré par l’ex-premier ministre togolais Edem Kodjo né Edouard Kodjovi Kodjo (1938-2020). De celui qui fut Secrétaire général de l’Union Africaine, Tshisekedi eût recours à des mots très durs pour le disqualifier d’un trait : un «valet au service de Kabila». Tshisekedi accordait «un préavis de trois mois» à Kabila.
«Le décompte de son préavis de trois mois de locataire au Palais de la Nation a commencé. Le 19 décembre 2016, le préavis est terminé. Le 20, la maison doit être libre. Cet homme qui depuis 2001 jusqu’aujourd’hui joue à qui perd gagne, ne devra plus échapper à notre vigilance».Puis, d’expliquer que c’est à la suite de ce départ le 20 décembre qui inaugurera «une ère nouvelle» au pays, qu’un «vrai dialogue politique inclusif (aura lieu) sans Kabila».
La stratégie de la banlieue bruxelloise fut ressortie et remise à l’ordre du jour quand au lendemain de cette tragique disparition, l’opposition orpheline désemparée se cherchait un leader de substitution.
Ce sera Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, le fils de son père, porté par une volonté politique farouche…
L’exploit réussi de TSK traversera les âges, servira d’unité de mesure de la capacité de résolution des conflits politiques par le procédé de transhumance.
Qui l’eut cru?
Une majorité vantée comme jamais, présentée comme irrémédiablement soudée, par son coordonnateur PPRD-FCC Néheémie Mwilanya Wilonja, l’ex-directeur de cabinet de Kabila depuis introuvable sur les radars comme par l’ex-candidat présidentiel, le dauphin de Kabila, secrétaire permanent de l’ex-parti présidentiel Emmanuel Ramazani Shadari qui, le 27 juin 2020, dans une salle conquise, debout sur une chaise, et dont la phrase résonne encore – «on ne peut pas nous intimider».
Une majorité qui fond en une nuit comme neige au soleil avant étonnamment de se reconstituer avec un tel déferlement le lendemain sur l’autre rive!
On avait certainement jamais assisté à un phénomène aussi étrange dans le monde contemporain qui a érigé le principe de discipline de vote de groupe comme mode de recrutement et d’identification politique.
L’explication de cet effondrement sans pareil d’une majorité parlementaire qui passe la rue avec armes et bagages pourrait se trouver aux origines de cette majorité elle-même, dans sa constitution, fabriquée de bric et de broc par un expert électoral d’origine libanaise rémunéré, pour les besoins de la cause, par l’ancien parti présidentiel PPRD, mis au service de la Commission électorale où il sert de guide suprême.
Sans aucune âme, sans référence tutélaire sauf un homme aux origines sociologiques diversement commentées dès son avènement par des chancelleries occidentales et par des proches, qui, plus est et reste perpétuellement inaudible, écoutant plus que faisant savoir ou, à tout le moins, ne laissant nul percer le fond de sa pensée, de ses convictions, de sa vision s’il en a…

LES PREMIERS SIGNAUX PROMETTEURS ?

Devant ce drame qui pousse au trouble face aux saillies du nouveau pouvoir, une majorité de 350 élus s’est désintégrée en novembre 2020 et a basculé suivie, dans l’étonnement général et sans que rien ne freine le mouvement, par la quasi-totalité de représentants des pouvoirs provinciaux et locaux…
Mais à quoi peut servir une majorité qui, en une nuit, sans tremblement de terre, se désintègre elle-même, passe la frontière ? Peut-elle être crédible et, à tout le moins, durable, aider à transformer positivement le pays en portant une vision commune?
Rien certes n’est impossible! La femme qui change de lit peut se révéler être un modèle de perfection totale dans sa nouvelle vie.
Les secondes noces arrivant après une expérience ou nombre d’expériences de vie, forment un couple qui en sait beaucoup sur ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire. Mais les premiers signaux que renvoie au pays ce rassemblement de l’Union sacrée de la Nation sont-ils prometteurs ?
Il est certainement trop prématuré à ce stade de porter un jugement quelconque de valeur. Il faudra attendre la publication du nouveau Gouvernement désigné par le Président de la République lui-même, de «Gouvernement des guerriers », lors d’un meeting récemment devant les pêcheurs sur le site de Kinkole, dans la banlieue Ouest de Kinshasa.
En clair, le pays doit s’attendre à une équipe de combat appelée à déplacer les montagnes de l’extrême pauvreté notamment sur des questions de fourniture aux populations des services essentiels telles l’eau et l’électricité, l’érection des infrastructures de communication ou du secteur social.
Mais pour que cette équipe atteigne du résultat, il faut préalablement définir des axes prioritaires.
Ce sont ces axes qui détermineront le type d’hommes susceptibles de répondre à l’appel du Président de la République qui incarne l’attente de la Nation.
Mais là aussi, il faudra attendre que le futur Chef du Gouvernement Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge nommé Premier ministre le 15 février, dévoile, conformément à l’article 90 de la Constitution de la République, son programme de Gouvernement devant la représentation nationale dont la session en l’espèce s’est ouverte le 15 mars, lors de la séance d’investiture, ce qui permettra de juger si les membres qui la composent sont à la hauteur des enjeux.
Certes, si aux termes de la Constitution, le Gouvernement définit la politique de la Nation en concertation avec le Président de la République, que, sur papier, c’est le Gouvernement qui « en assume la responsabilité» (art. 91 de la Constitution), la réalité est autre : à l’heure de la redevabilité, c’est le Président de la République qui en sera le seul et unique comptable devant la Nation aujourd’hui plus qu’hier dès lors qu’il dispose d’équipes de plein exercice que lui et lui seul a mises en place et qu’il a désormais sous la main le contrôle de tous les leviers de État.
Au fond, jamais, depuis Mobutu, un Président de la République n’a été politiquement aussi fort et, en même temps, n’a été aussi politiquement exposé…
C’est lui et lui seul que le Peuple verra demain et nul autre quand sonnera l’heure du jugement dernier, le rendez-vous électoral qui, à trois ans, mobilise déjà le pays et l’étranger avec tous les risques de le cristalliser et d’empêcher l’entame de réalisations sociales.
Cette donne est-elle perçue de la même manière et partagée par tous ces migrants ? Rien n’est moins sûr.
A entendre les déclarations publiques des uns et des autres voire des textes publiés sur les réseaux sociaux que certains pourraient trop vite qualifier de fakenews mais qui sont des ballons d’essai en provenance d’officines rodées, la priorité est avant tout la posture : faire partie soi-même ou par personne de service, quoi qu’il en coûte, du cercle du nouveau pouvoir afin de tirer le meilleur parti matériel notamment pour le très imminent débat électoral, le cercle de Kabila déboulonné figurant désormais aux objets du musée d’histoire.

LA VISION VANTÉE EST-ELLE PARTAGÉE ?
Tant que Kabila avait à distribuer des postes de pouvoir en décidant du sort matériel de chacun des membres de son entourage, il représentait un sens et en retenait tous à ses côtés même si chacun disposait en sous-main de ses propres partis et regroupements politiques.
Il fallait le plus possible être un proche sinon biologiquement par le mariage via diverses alliances matrimoniales – ce qui est plus rassurant – tout au moins politiquement par l’originalité du discours à développer afin d’exister sur scène.
Mais à partir du moment où les personnes les plus emblématiques ont commencé à être défaites par une déferlante, ne sachant à quel saint se vouer, du Vice-Premier ministre en charge de la Justice Célestin Tunda Ya Kasende aux présidents des Chambres parlementaires Jeanine Mabunda Lioko et Alexis Thambwe Mwamba en passant par le Premier ministre Sylvestre Ilunga Inlunkamba destitué par l’impitoyable tsunami quand la situation judiciaire d’un autre Premier ministre honoraire Augustin Matata Ponyo Mapon qui aura le plus duré dans l’entourage de Kabila bien que souvent pragmatique mais cité par l’Inspection Générale des Finances dans nombre de scandales économiques dont celui du parc agro-industriel de Bukanga Lonzo, devient chaque jour incertaine, c’est clair que plus que jamais, le pouvoir a changé de camp, avec lui, la peur au ventre.
Même le plus puissant et le plus redoutable patron des services de sécurité de Kabila, Kalev Mutondo, cité devant les tribunaux par une dizaine de ses détenus d’hier, a dû, pour tenter de sauver au moins provisoirement sa peau, se fondre dans la population avant de prendre la poudre d’escampette, de s’évaporer dans la nature avec tous les risques d’être pris pour le dernier des délinquants et être traîné devant un juge pour une arrestation immédiate. Si Kalev s’est fait fugitif, c’est pas pour n’avoir rien essayé.
Dans la ville haute, on rapporte qu’il avait entrepris une ultime tentative de conciliation avec le cercle présidentiel via le Haut Représentant Kitenge Yesu Nz qui lui aurait cependant montré le chemin à suivre : se mettre à la disposition de la justice afin de défendre sa cause avec honneur et dignité.
La nomination à Conakry de l’ex-premier ministre Matata comme second du gouvernement du président guinéen Alpha Conde ne le met nullement à l’abri de la justice qui peut agir par mandat d’arrêt international au cas où il serait recherché. D’où l’option qu’il a prise, lui, à son tour, de se rapprocher de la Cité de l’Union Africaine. Mais pas avant d’avoir annoncé avec fracas sur son compte Twitter son départ du PPRD dont il n’a jamais en réalité été membre et dont il n’a jamais drapé le châle coutumier des Pprdiens.
La brousse de la Kabilie a pris feu de toutes parts. Tous les animaux petits et grands, se terrent ou tentent de se sauver, prenant tous les risques d’être rattrapés.
Reste que les jours passant, les arrivants n’ont rien renié de leur existence, encore moins de leur vie passée.
Ils sont et restent des blocs monolithiques, homogènes, insubmersibles qui clairement ne partagent pas la vision de l’Union sacrée de la Nation qui est certes à définir.
Si, de cette situation, la démocratie sort gagnante, l’ambition légitime de conservation démocratique du pouvoir politique qui est l’essence même d’une démarche de conquête du pouvoir, paraît dangereusement mise à l’épreuve.
A quoi finalement aura servi une Union sacrée qui n’aurait au départ aucune vision commune, aucun engagement partagé si demain celle-ci devrait se désintégrer et s’effondrer, chaque partie prenant son cap pour s’assumer?
La seule stratégie de TSK qui pourrait faire courir le risque à une dynamique légitime commune pouvait-elle avoir justifié un basculement d’une majorité clairement factice qui n’aura sur le fond rien changé ? Il est vrai que plus que jamais la perspective d’une dissolution demeure et rien ne semble plus important que la sauvegarde de l’ État.

KKMTRY.

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