Mboso frappe un coup
Un ministre est tombé, un grand signal envoyé.
Dans son discours solennel à la rentrée parlementaire le 15 mars 2022, le président de l’Assemblée nationale Christophe Mboso N’Kodia Pwanga avait pris deux engagements présentés à son entourage comme des promesses fermes.
D’une part, les réformes électorales.
«Nous examinerons avec diligence les textes ayant trait aux réformes électorales en vue d’offrir au pays un processus électoral libre, inclusif et transparent, et de respecter le délai constitutionnel», avait-t-il déclaré d’autant que, «l’une des priorités de cette session de mars étant d’examiner et d’adopter la proposition de loi modifiant et complétant la Loi de 2006 telle que modifiée par la loi de 2011 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, provinciales, urbaines, municipales et locales».
Deuxième engagement pris par Christophe Mboso, il porte sur le contrôle parlementaire, avec pour objectif, le nettoyage des écuries d’Augias.
«Votre Bureau veillera à la programmation chaque mercredi de vos initiatives de contrôle», avait-il spécifié.
En l’espèce, il faut noter qu’à la veille de cette rentrée parlementaire, le président de l’Assemblée nationale avait reçu une saillie des députés portant sur la destination de diverses initiatives parlementaires, questions orales avec débat, motions de défiance ou autres adressées à divers ministres.
Mboso n’a pas attendu la fin de mars pour agir.
En moins de deux semaines, dès le 30 mars, un ministre est tombé, et non des moindres.
Par son portefeuille ministériel (l’Économie nationale au cœur de la vie de tous les jours des Congolais) et par son origine politique (l’Afdc, l’Alliance des forces démocratiques du Congo, le parti du président du Sénat Modeste Bahati Lukwebo, qui revendique la première place au sein de l’Union sacrée, au moins par le nombre de ses représentants, sénateurs, députés nationaux et provinciaux et autres membres des institutions politiques nationales et provinciales.
Après la destitution le 27 janvier 2021 du Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba (367/500), c’est un grand coup asséné par Christophe Mboso à l’Exécutif national susceptible de lui faire monter la cote de popularité au sein de l’hémicycle, mais aussi dans le pays et dans l’Histoire quand certains le présentaient comme «une simple marionnette du nouveau pouvoir à la recherche d’un gain matériel personnel».
UN MINISTRE N’ETAIT JAMAIS AINSI TOMBE.
Ministre de l’Économie nationale du Gouvernement Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge, Jean-Marie Kalumba Yuma est tombé suite à un vote d’une motion de défiance présentée par Crispin Mbindule Mitono, député de la circonscription de Butembo, au Nord Kivu, invoquant les articles 146 et 147.
«L’Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement ou d’un membre du Gouvernement par le vote d’une motion de censure ou de défiance. La motion de censure contre le Gouvernement n’est recevable que si elle est signée par un quart des membres de l’Assemblée nationale. La motion de défiance contre un membre du Gouvernement n’est recevable que si elle est signée par un dixième des membres de l’Assemblée nationale» (art. 146). «Lorsqu’une motion de défiance contre un membre du Gouvernement est adoptée, celui-ci est réputé démissionnaire» (art. 147).
Depuis le 30 mars 2022, Jean-Marie Kalumba Yuma n’est plus ministre. Il est «réputé démissionnaire». Il quitte le Gouvernement.
Jamais avant lui, un ministre du Gouvernement central n’avait perdu ses fonctions par le vote d’une motion de défiance à l’Assemblée nationale.
Passons outre les années d’un Mobutu tout puissant nommant et dénommant seul. Depuis la démocratisation et les premières élections libres en 2006, jamais un ministre n’avait été destitué par les députés.
En juin 2008, une motion de défiance du député MLC Jean-Lucien Busa visait le ministre des Hydrocarbures, Lambert Mende Omalanga.
Il était reproché au ministre Mende une mauvaise gestion de son secteur. Au vote, la motion a échoué.
Une autre, en juin 2017, déposée par le député Paul Muhindo Nzangi Vahumahu, du territoire de Beni, au Nord-Kivu, visait la responsabilité du ministre d’État en charge de la Justice Alexis Tambwe Mwamba dans une série d’évasions des prisons. Elle a échoué au vote en l’absence d’une voix… Une autre réclamait la déchéance d’Emmanuel Ramazani Shadary, Vice-premier ministre en charge de l’Intérieur et de la Sécurité. Il n’avait pas su prévenir les troubles éclatés dans le Kasaï. La motion a échoué après diverses manœuvres.
Désormais c’est fini. Mboso qui aurait pu, comme certains de ses prédécesseurs, faire montre de malice en trafiquant les votes de ses collègues, est resté droit dans ses bottes.
TSHISEKEDI TRES SOUCIEUX DE SON BILAN.
Comment ne pas avoir un mot pour ces députés de l’Union sacrée qui effacent une page : celle des années du tout puissant pouvoir exercé par l’Autorité Morale distribuant des «consignes de vote», veillant ou faisant veiller à leur stricte application par divers moyens parfois condamnables.
L’homme à féliciter est à tous points de vue, le Président de la République Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, Autorité Morale de l’Union Sacrée.
Il a laissé toute liberté aux députés d’exprimer, leur jugement par un bulletin de vote à l’Assemblée nationale.
Sur 368 bulletins de vote, 277 ont voté pour la déchéance du ministre. Seuls 79 députés ont voté contre tandis que 12 se sont abstenus.
Reste que cet engouement pour l’éjection du ministre d’un Gouvernement voulu comme celui des «Warriors» (les guerriers) peut surprendre.
N’est-ce pas une page désormais ouverte, un signal – un grand signal – envoyé à ceux des ministres qui ne seraient pas à la hauteur de leurs charges, n’auraient pas réalisé du résultat au moment où le pays va vers la fin d’une mandature avec un bilan à présenter par le Président de la République ?
Comment le Président de la République aurait pu s’opposer au départ d’un ministre jugé pour son «incompétence avérée» lorsque le slogan «Le peuple d’abord» résonne dans le pays? Le ministre de l’Économie était poursuivi pour la flambée des prix sur les marchés qu’il n’a su maîtriser.
À Kinshasa, un bidon d’huile de palme de 25 litres qui coûtait 45.000 CDF (22,5 $US) revient désormais à 52.000 CDF (26 $SD). Un sac de braise qui se vendait à 23.000 CDF (11,5 $US) s’achète à 32.000 CDF (16 $US). Celui des cossettes de manioc est passé de 70.000 CDF (35 $US) à 120.000 CDF (60 $US). Une rame de chinchards 20+ est passé de 51.000 CDF (25,5 $US) à 58.300 CDF (27 $US).
Ces prix augmentent alors que le taux du dollar reste inchangé. Une augmentation des prix qui frôle, selon l’auteur de la motion, les 50% dans certaines provinces.
Pour le ministre, cette flambée des prix est la conséquence de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, argument qui n’a guère convaincu les députés.
Il était également reproche au ministre de l’Économie nationale l’opacité dans la gestion de près de six millions de $US déboursé par le Gouvernement dans l’opération d’achat des chinchards en Namibie – des poissons qui devraient permettre à l’État de maîtriser le prix sur le marché – tout comme d’avoir distribué de l’argent à des mineurs en tant qu’agent public de l’État, ce qui est contraire à l’article 17 du code de l’agent public de l’État.
T. MATOTU.