Le PPRD-FCC a-t-il (encore) une existence?
Les Congolais ont tout renié à Joseph Kabila.
Son père n’est pas son père. Sa mère n’est pas sa mère. Ses enfants ne sont pas ses enfants. Horreur ! Jusqu’où ira le pays ? Jusqu’où ira cette escalade du reniement ? Last but not least, Kabila n’est pas congolais.
Certes, par ces temps de la société de l’information, où, sur la planète, l’information circule à la vitesse lumière, où tout le monde est devenu cameraman, cinéaste, écrivain, journaliste, le texte ou le visuel inventé pour nuire, approche parfois la pertinence. Encore que Kabila lui-même n’a jamais fait montre d’aucun effort pour communiquer. Il n’a jamais été visiter les siens dans son (ses) village (s), ne s’est jamais mêlé à eux, communié avec eux. Ce qui aurait coupé court à tout. Aucune fois, il n’a fait l’effort de faire ou de laisser témoigner les médias sur sa vie.
Finalement, ce qui lui arrive est en lien avec ces doutes sur son existence.
D’où est-il ce président ? Comment être, exister, se maintenir comme leader quand ceux qui vous entourent ne se reconnaissent pas en vous, quand vous ne les incarnez aucunement ? Tout ça ne peut pas ne pas avoir une incidence sur un avenir politique.
Au départ, c’est un proche de Mobutu, Honoré Ngbanda Nzambo ko Atumba. Ministre de la Défense, patron des services secrets, homme formé en Israël, Ngbanda tisse des réseaux, maîtrise la sous-région, se jette, à la chute de son mentor, dans la communication par sa chaîne YouTube.
En 1996, à l’invasion de l’ex-Zaïre par les armées rwandaise, ougandaise, burundaise, etc., Ngbanda parcourt l’Ouganda, le Rwanda, le Kenya, la Tanzanie, la Zambie, l’Afrique du Sud. En mai 1997, il est aux côtés de Mobutu avec le président Nelson Mandela et Laurent-Désiré Kabila à l’ultime rencontre du navire de guerre sud-africain Outeniqua.
À la chute de Mobutu, Ngbanda s’exile en Europe, crée un mouvement APARECO, l’Alliance des Patriotes Congolais pour la Refondation du Congo, organise des conférences, mobilise la diaspora, publie des livres dont « Crimes organisés en Afrique Centrale », mais, «pour des raisons de sécurité», cache son lieu de résidence.
Son thème de prédilection : le Tutsiland, Paul Kagame, James Kabarebe, Joseph Kabila qui en serait issu. Des propos à prendre avec prudence ?
Survient «le scandale Karel de Gucht». En février 2005, dans l’avion qui l’amène à Kinshasa en visite officielle, le ministre belge des Affaires étrangères fait circuler aux médias belges qui l’accompagnent une biographie tenue secrète par le gouvernement belge. Le texte indique que Joseph n’est pas le fils de Laurent-Désiré. Si Joseph n’est pas le fils de son père, ce document officiel belge accrédite l’identité rwandaise du jeune président.
KABILA ISOLE ?
Dire ça c’est vouer ce président aux gémonies. C’est exacerber les tensions dans le pays. Quel intérêt a Karel de Gucht à accabler de mépris le président ?
En octobre 2004, le même de Gucht, en atterrissant à Kigali, en provenance de Kinshasa, a ces mots à la bouche : « J’ai rencontré au Congo peu de responsables politiques qui m’ont laissé une impression convaincante ».
Puis : « En politique, il faut être diplomate mais il est également important qu’un homme politique dise ce qu’il pense. La diplomatie ne suffira pas pour faire avancer les affaires au Congo».
À son escale à Kinshasa, ce ministre avait rencontré le président. Kabila n’aurait-il pas été, à ses yeux, à la hauteur de sa charge ?
Plus tard, apparaît une personnalité katangaise de tout premier plan. Ancien gouverneur du Katanga, député sous deux législatures, Aimé Ngoie Mukena diffuse un enregistrement vidéo sur une chaîne de télévision katangaise révélé le 22 mai 2022 et largement relayé sur les réseaux sociaux.
À sa nomination à la tête du Katanga, déclare Ngoie Mukena, il avait « reçu mission de créer, avec tous les Katangais, une paternité à Joseph Kabila».
Ce Katangais finit par être ministre six ans durant. Il voit défiler quatre premiers ministres. Il est ministre aux Hydrocarbures de 2015 à 2019 sous les premiers ministres Augustin Matata Ponyo, Samy Badibanga Ntita et Bruno Tshibala Nzeze ; à la Défense nationale de 2014 à 2015 sous Matata Ponyo ; de 2019 à 2021, sous Sylvestre Ilunga Ilunkamba. Cette exceptionnelle longévité gouvernementale est-elle en lien avec la compétence ou avec le rôle joué dans la reconnaissance identitaire du président ? (…)
Vendredi 17 février 2006, à 08:00′, à mon retour à Kinshasa, après une absence de plus d’une décennie, je rencontre pour la toute première fois Kabila, dans son bureau du Palais de la Nation, siège de la présidence. Mille questions me taraudent l’esprit. En premier, pourquoi ses compatriotes lui refusent la reconnaissance identitaire ?
Réponse du Président : « Je ne comprends pas pourquoi on me conteste à moi d’être Congolais alors que personne n’a jamais rien contesté à ma sœur jumelle ! J’ai lu sur l’Internet parce qu’il m’arrive de passer du temps sur l’Internet que quelqu’un voulait que je fasse un test ADN. Non, un Chef d’État ne descend pas si bas ! À supposer que je passe ce test, que répondraient ceux qui m’y auraient poussé si ce test se révélait positif ? Ceux qui m’auraient lancé ce défi, il faut bien qu’ils aient à en répondre, non ? »
Tel un assiégé dans un camp retranché, Kabila s’interroge, ne sachant pas où donner de la tête. Mensonge ! Plus il est gros, plus il est crédible ?
J’ai le courage de lui proposer de m’ouvrir les portes de ses racines. Je serais prêt à parcourir l’arrière-pays afin de voir, écouter, témoigner, retracer son arbre généalogique. Que ceci pourrait donner lieu à une série d’articles voire à un livre. Il me dit qu’il ne voit aucun inconvénient et que cela pourrait se faire dès le lendemain.
Il ne m’en a plus jamais reparlé. Le doute toujours le doute. Il est réel. Hélas ! Comment, dans ces conditions, être et demeurer à la tête d’un pays qui ne vous reconnaît pas, un pays qui vous conteste tout ? Comment, dans ces conditions, mobiliser les foules, même en en payant le prix, si on n’incarne pas ces foules ? (…)
S’il est vrai que le pays a tout contesté à Kabila, son entourage immédiat a fait pire mais, peut-être, plus intelligemment. Ne connaissant pas le pays, ne connaissant pas ses forces sociologiques, le président s’est fait entourer d’une caste dont chaque membre rendait compte à un mentor tapis dans l’ombre qui l’avait placé sur des listes de nomination comme parlementaire, comme membre de l’exécutif, comme mandataire public, etc., et qui le rétribuait grassement en retour.
Chacun de ces multiples mentors ne se souciait que d’une chose : amasser assez d’argent, se constituer un cercle de fidèles avec mission de détruire ce président à qui nul ne reconnaissait un seul mérite et, à terme, lui succéder puisque «chance eloko pamba». Le sort futur de Joseph Kabila tient de là. Tout ce cercle – même les membres qui lui furent très proches, soit qu’ils furent des premiers ministres, soit des vice-premiers ministres, soit des directeurs de cabinet, soit des chefs des institutions – va l’abandonner sans autre forme de procès. Isolé, dans ce pays, Kabila ne semblait plus avoir d’avenir politique. Une page semble s’être définitivement fermée.
Le premier à quitter la barque est Vital Kamerhe Lwa Kanyiginyi Nkingi. Tout premier secrétaire général de l’alors parti présidentiel, le PPRD, le Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie, il est en 2006, directeur de campagne du candidat Président Kabila lors de l’élection présidentielle. Il publie, en février de la même année, un livre «Pourquoi j’ai choisi Kabila». Était-il si important pour cet homme qui tient tant à son image de justifier scientifiquement ce choix ?
Kamerhe fut aussi le président de l’Assemblée nationale de la toute première législature dont les députés furent, pour la toute première fois dans l’histoire du pays, directement élus par le peuple. Sur la radio onusienne Radio Okapi, il critique l’entrée au Congo des troupes rwandaises venues à la demande du président de la République sans requérir l’autorisation du parlement.
Kamerhe invoque l’article 86 de la Constitution : « Le Président de la République déclare la guerre par ordonnance délibérée en Conseil des ministres après avis du Conseil supérieur de la défense et autorisation de l’Assemblée nationale et du Sénat conformément à l’article 143 de la présente Constitution ».
Pour Kabila, la coupe est pleine. En contestant cette décision, Kamerhe a franchi la ligne rouge. Mis sous pression des semaines durant, le président de l’Assemblée nationale remet sa démission. Dans un discours prononcé le 25 mars 2009 devant la plénière de la Chambre basse, il s’en explique : « Je ne voudrais pas inscrire mon nom dans l’histoire du blocage des institutions chèrement acquises par notre peuple au prix de son sang ».
Et très vite, l’ex-secrétaire général du PPRD crée son propre parti politique, l’UNC, Union pour la Nation Congolaise.
Le second à s’en aller est le tout puissant gouverneur du Grand Katanga. Moïse Katumbi Chapwe dont le mentor fut l’autre tout puissant du dernier carré de Kabila, l’ambassadeur itinérant Augustin Katumba Mwanke qui fut aussi le tout premier secrétaire général de la majorité présidentielle avant, à la plus grande surprise, d’abandonner cette fonction. Peu avant, à son domicile, Augustin Katumba Mwanke m’avait expliqué longuement la décision qu’il avait prise. Il détestait l’entourage de Kabila, n’acceptait nullement de continuer de regarder en face ces hommes et ces femmes en qui il n’avait aucunement confiance et qu’il préférait s’occuper de la sécurité de Kabila. Un discours qui me parut politiquement incompréhensible. S’il était si soucieux de la sécurité de son mentor, c’est, au contraire, au sein de cette structure où siégeaient toutes les personnalités fortes du régime qu’il fallait être, écouter, comprendre, parler, agir.
Après la mort suspecte le 12 février 2012 de cet homme dans le crash d’un jet, propriété de Moïse Katumbi Chapwe à l’atterrissage à l’aéroport de Kavumu à Bukavu, le gouverneur du Katanga sent que ses liens avec le cercle de Kabila n’avaient jamais réellement existé. Devenu multi-millionnaire grâce à des opérations dans les mines du Katanga, qui a pris la tête d’un puissant club de football, le FC Mazembe qui multiple des victoires à l’échelle continentale, Katumbi s’est laissé convaincre que son heure a sonné de chercher à prendre, lui aussi, la tête du pays. En grand stratège, il procède par se construire un groupe de fidèles autour de Kabila qui lui doivent tout dont des ministres qu’il convainc de quitter le navire avant, à son tour, de claquer le 29 septembre 2015 à la fois la porte du parti présidentiel et celle de gouverneur. Il réalise même l’incroyable qui laisse le monde sans voix : débaucher le conseiller spécial du président de la République en matière de sécurité, Pierre Lumbi Okongo. Dans une déclaration publique, l’ex-gouverneur dénonce «les dérives anticonstitutionnelles du régime, le recul de l’État de droit et des libertés individuelles». Mais Kabila lui en fait voir de toutes les couleurs.
KABILA RENAITRA-T-IL ?
La troisième vague de départs se déchaîne lors des élections de décembre 2018. Empêché par la communauté internationale de briguer un troisième mandat, Kabila tarde à en prendre acte en présentant un dauphin. Il tente au contraire un forcing mais sent que le risque est trop grand d’être banni par l’extérieur.
Alors que chacun de ses proches se convainc d’être celui sur qui il a porté le choix en le désignant candidat président pour la succession, et que chacun apprête, par le recrutement, sa machine électorale, oubliant même de déposer la candidature aux législatives, Kabila surprend en désignant un homme sinon quasi inconnu politiquement, tout au moins celui à qui personne n’aurait jamais pensé. Un ancien vice-premier ministre en charge de l’Intérieur et Sécurité, Emmanuel Ramazani Shadari qui a pris, entre-temps, la direction du parti présidentiel. Kabila avait pensé à l’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo Mapon, l’un des quatre rescapés du crash de Kavumu, mais des originaires de la province du Maniema consultés, avaient opposé un refus catégorique. Malgré des millions de $US déversés dans la campagne, le choix de Shadary marque le déclin de l’ex-parti présidentiel. Si, à la veille des élections de décembre 2018, le PPRD constitue une coalition électorale, le Front Commun pour le Congo, FCC, conduite par des personnalités sans véritable ancrage sociologique, s’il fait proclamer ses hommes par la centrale électorale en se fabriquant une majorité écrasante au sein de presque toutes les assemblées du pays, cette majorité ne résiste pas à la réalité sociologique et politique. Au terme des consultations présidentielles du Palais de la Nation initiées et conduites par le président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, à qui l’ancien régime a refusé des élus, cette majorité de façade s’écroule comme un château des cartes. Elle bascule dans le camp du président de la République.
Le 13 avril 2021, un gouvernement est constitué avec des transfuges de l’ancien parti présidentiel dont l’un d’eux, Jean-Pierre Lihau Ebua Kalokala Monga Libana, est nommé ministre de la Fonction publique avec rang de Vice-premier ministre. Ceci n’a été possible qu’à la suite de l’effondrement de la majorité parlementaire qui a mis fin à l’encombrante coalition avec Kabila et a ouvert la page à l’acte 2 du quinquennat Tshisekedi. Dans cette incroyable opération, quatre personnages clés paient les frais cash. Ils ont été défenestrés.
Le président de la Cour constitutionnelle Benoît Lwamba Bindu ouvre la série. Le 27 juin 2020, il remet sa lettre de démission au Président de la République qui l’aide à obtenir un visa belge pour cause de maladie. Frappé par des sanctions européennes à la suite d’une organisation chaotique des élections, il ne pouvait se rendre autrement dans l’espace Schengen.
Vient après, la présidente de l’Assemblée nationale Jeanine Mabunda Lioko Mudiayi. Le 10 décembre 2020, le basculement de la majorité dans le camp du président de la République conduit à la destitution du bureau de la chambre basse et, le 27 janvier 2021, la nouvelle majorité chasse le premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba.
Le dernier à clôturer cette série est le président du Sénat Alexis Thambwe Mwamba. Touché par plusieurs scandales, il comprend très vite que son tour est le suivant. Plutôt que d’être humilié, cet homme choisit de sauver la forme : le 5 février 2021, il remet sa démission. S’il y a eu une guerre au Congo-Zaïre appelée « la première guerre mondiale africaine », l’histoire retiendra une trahison dans ce pays qu’elle pourrait nommer «la première trahison politique mondiale africaine». Jamais, dans l’histoire démocratique, une majorité parlementaire n’avait aussi basculé au cours d’une législature sans élection anticipée. Il faut aller chercher à une autre époque le cas d’un leader de premier plan, aussi abandonné, aussi isolé, aussi trahi par ceux dont il avait forgé l’existence (…).
Kabila renaîtra-t-il sur scène ? Possible ! Mais dans quel pays ira-t-il prendre des équipes de combat, lui qui, en une décennie, n’avait pas trouvé 15 personnalités pour l’aider à reconstruire le Congo ? La nouvelle herbe ? « Il nous faut absolument nourrir la nouvelle herbe qui pousse, la gent féminine sauf qu’on ne gagne qu’avec les hommes et les femmes qui incarnent la population, en qui la population se reconnaît », mercredi 8 février 2023 @kkmtry (…). Extraits du livre, Une Histoire du Congo.
KKM.