Nouvelle affaire Matata Ponyo

Nouvelle affaire Matata Ponyo

Une nouvelle affaire Matata
PARIS-BRUXELLES-KINSHASA. LE SOFT INTERNATIONAL N°1574 DATÉ VENDREDI 10 FÉVRIER 2022.

Le ministre des Finances et de l’Économie congolais accuse l’ancien Premier ministre Augustin Matata d’avoir détourné « près d’un milliard de $US en 2015 et 2016 dans divers projets douteux et foireux ».

On lui niera tout sauf sa capacité à tenter d’effacer le tableau. L’ancien Premier ministre (9 mai 2012-17 novembre 2016) Augustin Matata Ponyo Mapon qui fut Directeur Général du Bureau Central de Coordination, B.CeCo (2003-2010) avant d’être nommé ministre des Finances (19 février 2010-18 avril 2012), mis sous mandat d’arrêt provisoire, empêtré dans plusieurs affaires judiciaires – détournement des fonds destinés à l’indemnisation des 300 créanciers qui seraient propriétaires des biens zaïrianisés (110.907.681,88 $US et 27.894.707,92 euros décaissés entre 2010 et 2013, la Direction de Gestion de la Dette Publique, DGDP, n’a trouvé aucune trace de ces 300 créanciers), dossier du parc agro-industriel de Bukanga Lonzo dans lequel, documents à l’appui, l’Inspection Générale des Finances l’accuse d’association de malfaiteurs et de détournement des deniers publics en lien avec des complices sud-africains et congolais dont d’anciens ministres – n’a jamais arrêté d’user de tous les artifices pour échapper à la justice.
Dans le projet Bukanga Lonzo présenté comme solution miracle à la famine par l’ancien Premier ministre qui fut en même temps ministre des Finances (le ministre des Finances à l’époque était ministre délégué auprès du Premier ministre), une somme non retracée, présentée dans les détails par l’Inspection Générale des Finances, donne le vertige : 205 millions de $US sur un total de 285 millions de $US décaissés par le Trésor public.

ARTIFICES DÉPLOYÉS.
Conseiller à Conakry de l’ancien président guinéen Alpha Condé chassé du pouvoir le 5 septembre 2021 par une junte militaire, Matata avait décidé, par le premier vol, de revenir au Congo pour, avait-il déclaré, affronter la justice de son pays quand tous ses amis, disait-il, lui donnaient d’autres conseils. Alors que les Congolais attendaient d’en savoir plus sur le désastre de ce projet, mieux, sur cette catastrophe du siècle et le détournement des fonds dénoncé par l’Inspection Générale des Finances, Matata a, au contraire, mis toutes les batteries en marche. Il a recruté des médias, commandé des enquêtes de presse, engagé une équipe d’avocats. Objectif: parvenir à tout prix à effacer le tableau. Outre cela, il a mis en alerte, comme jamais, des membres de la communauté internationale, contestant à la justice de le juger, invoquant et interprétant des dispositions de la Constitution.
Il s’agit de l’article 163 de la Constitution («La Cour constitutionnelle est la juridiction pénale du Chef de l’État et du Premier ministre dans les cas et conditions prévus par la Constitution») et de l’article 164 («La Cour constitutionnelle est le juge pénal du Président de la République et du Premier ministre pour des infractions politiques de haute trahison, d’outrage au Parlement, d’atteinte à l’honneur ou à la probité ainsi que pour les délits
d’initié et pour les autres infractions de droit commun commises dans l’exercice
ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. Elle est également compétente pour juger leurs co-auteurs et complices».
La défense de Matata a soutenu que son client ne pouvait en aucun cas être jugé par la Cour constitutionnelle dès lors qu’il n’était plus premier ministre. Si, par un arrêt du 15 novembre 2021, une composition de la Cour constitutionnelle a suivi ces avocats, en tête, Me Raphaël Nyabirungu Mwene Songa, professeur émérite, doyen honoraire à la Faculté de Droit de l’Université de Kinshasa, avocat près la Cour de cassation et le conseil d’État, en déclarant la haute cour incompétente pour juger l’ancien premier ministre, ce jugement a été fortement contesté dans les milieux de la justice et de la société civile. .
À la Cour de cassation, juge naturel des parlementaires, celle-ci s’est dessaisie du dossier, a pris, le 23 juillet 2022, un arrêt renvoyant l’affaire devant la Cour constitutionnelle en vue cette fois, d’interpréter l’article 164.

INTOUCHABLE PAR LA JUSTICE.
Le 18 novembre 2022, répondant à cette requête, la Cour constitutionnelle s’est déclarée cette fois compétente pour juger l’ancien Premier ministre.
On attendait que le procureur général près la Cour constitutionnelle réactive l’action publique.
Mais, depuis, nul ne sait le sort réservé à Augustin Matata Ponyo. Dans cette affaire, un ancien ministre délégué des Finances Patrice Kitebi Kibol Mvul est cité. Tout comme l’homme d’affaires sud-africain Grobler Christo, gérant de la société Africom en charge alors du parc de Bukanga Lonzo. La Cour constitutionnelle n’a, jusqu’ici, pas communiqué.
Existe-t-il sur terre un homme qui ne puisse jamais être poursuivi devant un juge quand il est cité pour crime économique ? L’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo Mapon intouchable ?
C’est ce qu’affirme un membre du team Nyabirungu. Noir sur blanc, Me Frédéric Kwamba déclare que l’ancien Premier ministre est désormais hors cause. Il explique qu’en matière pénale, une loi nouvelle ne peut avoir un caractère rétroactif.
Mais quelle « loi nouvelle » ? Réponse de l’avocat: « Nous trouvons que l’esprit de cet arrêt ne nous est pas défavorable comme beaucoup le pensent. L’esprit de cet arrêt, d’une manière définitive, met fin au dossier Bukanga Lonzo. La Cour constitutionnelle vient de légiférer comme elle en a le pouvoir en apportant la lumière ou en comblant un vide juridique sur le juge naturel d’un ancien Premier ministre. Tout le monde sait maintenant qu’un ancien Premier ministre a pour juge naturel la Cour constitutionnelle».
Puis : « L’ayant fait, nous entrons dans le principe du droit pénal qui dit qu’une nouvelle loi ne rétroagit pas. Une loi nouvelle en matière pénale est promulguée pour l’avenir. À partir du moment où la Cour constitutionnelle a rendu cet arrêt, elle a mis de côté Matata Ponyo. Cet arrêt ne concerne que les futurs anciens Premiers ministres, pas Matata Ponyo. Pourquoi ? Parce qu’on ne peut pas légiférer sur un dossier qui existe déjà. On légifère toujours pour l’avenir. Une loi nouvelle ne peut rétroagir que si elle est favorable au prévenu. Dans les deux cas, Matata Ponyo est déjà lavé par la Cour constitutionnelle ».
De l’avis de Me Kwamba, si la Cour constitutionnelle décide de convoquer Matata, elle foulera au pied la Constitution en son article 17 alinéa 2, à savoir, «nul ne peut être poursuivi, arrêté, détenu ou condamné qu’en vertu de la loi et dans les formes qu’elle prescrit».
Mais voilà qu’une nouvelle affaire Matata tombe.
Elle oppose cette fois celui qui est aujourd’hui sénateur à l’actuel ministre des Finances et de l’Économie, Nicolas Serges Kadima-Nzuji.
Augustin Matata et Nicolas Kazadi se connaissent et furent très proches quand ils étaient, dans les années 1988 et 2000, des experts à la direction des études de la Banque du Zaïre, l’actuelle Banque Centrale du Congo.
La nouvelle affaire? Le dossier Congo Challenge, un bureau d’études de Matata créé au moment où il allait faire ses adieux comme Premier ministre.
Tirant profit des relations de dépendance avec certains de ses ministres et d’autres collaborateurs qu’il avait su positionner, Matata s’était investi pour s’assurer de leurs services en levant divers contrats dont ceux, avec le ministère des Finances. Il s’agit d’une étude qu’allait mener le bureau Congo Challenge portant sur la mobilisation des recettes publiques, la diversification de l’économie, le renforcement du secteur privé, l’impact du Covid-19 sur le secteur minier, le Plan quinquennal sur le transport, etc. Des contrats portant sur 1,9 million de $US. Une somme, assure Matata que la Banque Africaine de Développement, BAD en sigle, a débloqué via la Banque Centrale du Congo.

UN DÉLAI DE TROIS JOURS.
Dans divers courriers et à diverses occasions, l’ancien Premier ministre accuse l’argentier national Nicolas Serges Kadima-Nzuji, de bloquer ce paiement.
Plus grave, le ministère des Finances aurait détourné ces fonds de la BAD; «utilise les ressources de la BAD comme arme de guerre contre un opposant » ; réclame une rétro-commission de 20% avant de faire passer ce dossier, ce que l’ancien Premier ministre dit avoir refusé évoquant son « éthique» et ses « exigences professionnelles».
« Imaginez-vous qu’il m’a été demandé aussi de payer 20% de rétrocommission pour obtenir le paiement des études réalisées par mon cabinet au profit du gouvernement ! Ce que j’ai refusé car cela n’est pas conforme à mon éthique et à mes exigences professionnelles. Les fonds de la Banque africaine de développement, constitués notamment des épargnes des Africains et des Occidentaux, sont scandaleusement détournés au ministère des finances», avait notamment déclaré l’ancien Premier ministre qui venait de créer un parti politique, LGD, Leadership, Gouvernance pour le Développement publié le 3 juin 2022 avant de se faire proclamer, en mai 2022, candidat Président de la République.
Vu l’ampleur que prend le scandale, le tournant que l’ancien Premier ministre donne à ce dossier Congo Challenge, le ministre des Finances et de l’Économie Nicolas Serges Kadima-Nzuji a réagi.
Le 31 janvier 2023, dans un courrier, son directeur de cabinet Bertin Mawaka Lubembo a donné à l’ancien Premier ministre un délai de trois jours pour apporter les preuves des accusations sur la rétro-commission de 20% qui lui aurait été exigée au ministère des Finances. Il le menaçait de porter cette affaire devant un juge si cette preuve n’était pas apportée.
« Compte tenu de la flagrance et de la gravité de vos déclarations tant sur la réputation que sur l’image non seulement du ministère des Finances mais aussi et surtout de tous les services publics, un délai de trois jours vous est accordé. Dépassé ce délai, le ministère des Finances se réserve le droit de saisir la justice pour injures publiques, Imputations dommageables, outrages envers les autorités publiques, propagation des faux bruits au cas où ces déclarations s’avéreraient fausses», écrit Bertin Mawaka Lubembo. Le 7 février 2023, l’ex-Premier ministre s’est adressé par une lettre au ministre Nicolas Serges Kadima-Nzuji en reprenant ses accusations sans en apporter la moindre preuve.
Depuis INDABA, la grande conférence minière annuelle sud-africaine où il se trouvait, le ministre congolais qui, d’ordinaire, dit n’éprouver que du mépris face aux fake, a accepté, malgré tout, de répondre en exclusivité aux questions du Soft International, sur les attaques dont il est victime de la part de l’ancien Premier ministre, sur les diverses accusations formulées par celui-ci, sur les lettres échangées avec Matata Ponyo.
L’ancien Premier ministre, nous déclare le ministre des Finances et de l’Économie Nicolas Serges Kadima-Nzuji, «essaie d’exister politiquement»; «qu’il existe une seule personne dans ce pays qui perdrait le sommeil parce que Mapon veut être candidat ? Tout le monde sait que sa déclaration de candidature n’a pour but que de servir d’écran de protection supplémentaire face à tous les dossiers criminels qui l’accablent » ; «que c’est bien (Matata) qui a détourné près d’un milliard de $US en 2015 et 2016 dans divers projets douteux et foireux, dont Bukanga Lonzo et d’autres, dans le but de mettre l’État en situation de ne pas pouvoir financer la CÉNI, pour obtenir le glissement du calendrier électoral. Vous savez combien de morts cette situation a engendré dans le pays » ; « qu’en tant qu’ancien ministre des Finances, ne pas exécuter une dépense jugée non conforme n’est pas synonyme de détournement» ; qu’il «ment frénétiquement» et le ministre « comprend pourquoi il a rejoint le club des menteurs et manipulateurs de la République » ; finalement, «les études (de Congo Challenge) sont vides et inutilisables».
Sur la visite que aurait rendue Nicolas Kazadi à Matata à la Primature, le ministre est sans appel : « Je n’ai jamais mis les pieds dans son bureau pendant qu’il fut Premier ministre Malgré nos bonnes relations de camaraderie de l’époque (nous avons été proches collègues pendant une dizaine d’années) nous nous sommes toujours entretenus de loin, par téléphone, pendant toutes ces années où j’étais en expatriation. A deux reprises, je lui ai demandé un service administratif pendant qu’il était Premier ministre, sans le moindre succès. Ni pendant qu’il était en fonction, ni avant, ni après, jamais je n’ai demandé ou reçu de sa part le moindre centime. La seule fois qu’il m’à reçu dans son bureau c’est quand il fut Ministre des Finances ; de passage à Kinshasa, j’étais venu le saluer et l’encourager en tant qu’ami, bien que n’appartenant pas à sa famille politique ».
Si Matata avait pu réagir sur le dossier de l’immeuble disputé, « la suite a été un vrai cauchemar. Lors d’une tentative d’exécution de l’arrêt en février 2016, j’ai touché du doigt la face la plus sombre de notre Justice. J’ai même été battu par les gardes républicains de l’époque, j’ai eu un doigt fracturé par des coups de matraque et ma vie a été mise en danger ». Dans ce dossier, il y aurait eu des agendas cachés, laisse entendre le ministre.
«S’agissant de l’étude sur la mobilisation des recettes, les avis des trois régies financières et des différents experts du ministère ont été cinglants. La procédure pour leur validation et paiement n’a pas été respectée. Et je me réserve de parler des conditions d’attribution de ce marché comme vous l’avez si bien pointé du doigt. Sous d’autres cieux on parlerait d’abus de biens sociaux».
Sur le risque de poursuites judiciaires qu’il a fait peser sur l’ancien Premier ministre par son directeur de cabinet, le ministre des Finances et de l’Économie estime que comme Matata Ponyo est «incapable de répondre à la question» et, étant donné qu’«il a ainsi lui-même démontré qu’il avait menti», la lettre de l’ancien Premier ministre «achève le peu de crédibilité qui pouvait encore lui rester». Le ministre annonce qu’il va adresser «un rapport» de ce «comportement indigne aux autorités du Sénat». «Quant à la justice, oui, je suis en effet en droit de le poursuivre, puisqu’il n’a apporté aucune preuve. En attendant, je pense qu’il est déjà jugé et condamné par sa propre conscience et par l’opinion».
Dans Le Soft International et nulle part ailleurs.
Ci-après :

Monsieur le ministre, avez-vous été reçu, à l’Hôtel du Gouvernement, de mai 2012 à novembre 2016, par Augustin Matara Ponyo Mapon à l’époque où il était Premier ministre, chef du Gouvernement et, il faut le dire, très puissant chef du Gouvernement, comme il l’affirme dans son courrier du 7 février 2023 qu’il vous a adressé et qui circule sur les réseaux sociaux ?
Absolument pas. Je n’ai jamais mis les pieds dans son bureau pendant qu’il fut Premier ministre. Malgré nos bonnes relations de camaraderie de l’époque (nous avons été proches collègues pendant une dizaine d’années), nous nous sommes toujours entretenus de loin, par téléphone, pendant toutes ces années où j’étais en expatriation. La seule fois qu’il m’a reçu dans son bureau c’est quand il fut ministre des Finances. De passage à Kinshasa, j’étais venu le saluer et l’encourager en tant qu’ami, bien que n’appartenant pas à sa famille politique.

Dans ce courrier, Augustin Matata Ponyo Mapon affirme vous y avoir reçu, à votre demande, «à plusieurs reprises», à son bureau, à l’Hôtel du Conseil, afin qu’il vous aide dans un dossier de justice en lien avec votre immeuble, celui où vous habitez actuellement.
Je me demande pourquoi il ment aussi gratuitement. J’ai toujours entretenu des relations transparentes et honnêtes avec tous les politiciens que j’ai connus avant la politique, même quand nous étions de bords politiques opposés. En plus, j’étais à l’époque un haut fonctionnaire de la BAD puis du PNUD, et pendant longtemps, je fus le plus gradé des Congolais au PNUD. Je ne pouvais donc pas me priver ni me gêner d’aller voir les autorités de mon pays si nécessaire, bien qu’étant de l’opposition. À plus forte raison s’il s’agit d’un ancien collègue de jeunesse. Mais là, je n’avais jamais été à la rencontre de Mapon dans son bureau de Premier ministre. Alors pourquoi il ment ? Je n’ai d’ailleurs jamais eu l’occasion de mettre les pieds chez lui à la maison malgré nos bonnes et anciennes relations, alors que lui m’a déjà rendu visite à plusieurs reprises, à Kinshasa ou à l’étranger.
Avec ses mensonges à répétition, je ne reconnais plus l’homme. C’est probablement pour continuer d’exister politiquement et se faire valoir qu’il s’agite ainsi. Je trouve cela révélateur de sa vraie personnalité et c’est pathétique.

Est-il vrai, comme l’ancien Premier ministre l’affirme, que le ministre de la Justice de l’époque, l’actuel sénateur Alexis Thambwe Mwamba, avait pesé de tout son poids sur le pouvoir judiciaire, pour vous aider à vous en sortir dans ce dossier ?
J’avais demandé à Mapon d’intervenir en tant que Premier ministre car je n’arrivais pas à faire exécuter un arrêt ayant acquis l’autorité de la chose jugée depuis plus de sept années, à cause des procédures dilatoires de la partie adverse facilitées par la corruption. Il a demandé à Thambwe, ministre de la Justice de l’époque, de bien vouloir donner suite à mon dossier et, ce dernier, après m’avoir reçu dans son bureau, a écrit au greffe pour lui demander d’exécuter l’arrêt. La suite a été un vrai cauchemar. Lors d’une tentative d’exécution de l’arrêt en février 2016, j’ai touché du doigt la face la plus sombre de notre Justice. J’ai même été battu par les gardes républicains de l’époque. J’ai eu un doigt fracturé par des coups de matraque et ma vie a été mise en danger. En fait, pour des raisons non élucidées à ce jour, le même Thambwe est revenu sur sa lettre et a demandé qu’on suspende l’exécution de l’arrêt jusqu’à nouvel ordre. Il a ensuite reconnu qu’il s’était trompé et a promis de corriger son erreur mais il ne l’a jamais fait jusqu’à son départ du gouvernement. Si j’étais revanchard, j’aurais pu virer son fils de son poste à la COFED, qui relève de mon cabinet. Je n’ai pas jugé utile de le faire, tant qu’il fait correctement son boulot et ne se montre pas nuisible. En cela, je pense être en accord avec ma conscience et en phase avec la philosophie de mon leader, Félix Tshisekedi. Pourtant son père, Alexis Thambwe Mwamba, avait été nuisible pas seulement pour moi et ma famille biologique, mais aussi pour mon leader et ma famille politique.

Excellence Monsieur le Ministre, comment s’est terminé ce dossier de justice que l’ancien Premier ministre évoque dans sa lettre ?
La démarche initiée en 2016 avec l’appui de Matata s’est soldée par un échec total, malgré les dizaines de milliers de dollars que j’avais engloutis pour les divers frais d’exécution. J’ai donc jeté l’éponge et ce n’est qu’en juin 2019, après l’avènement du Président Tshisekedi au pouvoir, que j’ai pu obtenir l’exécution de l’arrêt sans interférences malsaines. J’ai de nombreux témoins de ce drame et je peux citer notamment Raymond Tshibanda, Godard Motemona et le Général Kanyama. Tous avaient voulu m’aider mais se sont retrouvés impuissants face aux dysfonctionnements de la justice, de la police et de l’armée, et face à l’arbitraire et la corruption. Et avec ça, Mapon ose vouloir faire croire que c’est grâce à son intervention que j’ai pu obtenir l’exécution de l’arrêt. Mensonges et manipulations sont devenus sa marque de fabrique.

Pensez-vous qu’Augustin Matata Ponyo Mapon insinue que vous ayant ainsi aidé dans ce dossier personnel, vous lui êtes redevable et, du coup, devez faire montre de reconnaissance ou de compréhension dans ses dossiers à votre ministère ?
Comme je viens de le démontrer, je ne lui dois absolument rien, si ce n’est que nous nous devons mutuellement la vérité et le respect. À deux reprises, je lui ai demandé un service administratif pendant qu’il était Premier ministre, sans le moindre succès. Ni pendant qu’il était en fonction, ni avant, ni après, jamais, je n’ai demandé ou reçu de sa part le moindre centime. Et si quelqu’un de mon cabinet lui aurait demandé quelque chose, qu’il le fasse savoir. Au nom de quoi se permet-il aujourd’hui de mentir frénétiquement au sujet du ministère que je dirige et de salir gratuitement les gens ? Il s’agite comme un roquet autour de son dossier de paiement mal ficelé, et il brandit son statut de candidat-président comme un cabri, dans l’espoir d’attirer l’attention. C’est tout simplement tragi-comique !

L’ancien Premier ministre vous accuse de bloquer le paiement de ses factures alléguant le fait que ce serait pour vous «une façon d’alimenter le compte d’un candidat président» de la République «issu de l’opposition» contre votre «candidat du pouvoir que vous soutenez».
Pensez-vous vraiment qu’il existe une seule personne dans ce pays qui perdrait le sommeil parce que Mapon veut être candidat ? Tout le monde sait que sa déclaration de candidature n’a pour but que de servir d’écran de protection supplémentaire face à tous les dossiers criminels qui l’accablent. J’ai récemment appris qu’il avait réussi à décrocher un autre marché d’étude au sein du ministère de l’Économie que je dirige à titre intérimaire. Si j’avais l’esprit revanchard, j’aurais pu opposer mon veto, d’autant plus qu’il n’avait convaincu personne pour les autres études. J’espère seulement que cette fois-ci, le travail sera à la hauteur. J’y veillerai et c’est dans son intérêt s’il veut être payé.

Est-il courant que la contestation par un ministère des droits revendiqués par une entreprise amène celle-ci à promettre d’alerter la communauté financière internationale ?
Il a tout à fait le droit de contester. Il a d’ailleurs déjà beaucoup crié à ce sujet. Le silence des intéressés devrait le gêner car il révèle parfaitement l’inanité de ses élucubrations.

Comment comprenez-vous cette attitude provenant d’un homme d’État, en l’occurrence, un ancien Premier ministre ?
Homme d’État ? Ça c’est vous qui le dites… Moi, je constate tout simplement que mon ancien ami a perdu la tête et je m’en inquiète sincèrement pour lui. Vous savez, je viens d’une famille politique qui a prouvé sa résilience face aux difficultés et à l’adversité plus que quiconque dans ce pays. Je pense que Mapon n’est pas encore mûr de ce point de vue. Il a perdu la tête, qui s’était faite grosse…

Que répondez-vous aux accusations selon lesquelles vos services lui auraient réclamé 20% de rétro-commissions avant de libérer le paiement des droits validés par le ministère du Plan ?
Si il apporte des preuves que quelqu’un l’aurait rançonné, je prendrai les sanctions qui s’imposent comme je l’ai toujours fait. Mais demandez lui pourquoi il est incapable de dire qui lui a demandé les 20 % de rétro-commissions. C’est à croire qu’il ne vit que de mensonges. Et je comprends aussi pourquoi il a rejoint le club des menteurs et manipulateurs de la République.

Dans son courrier du 7 février 2023 publié sur les réseaux sociaux adressé au sénateur Matata, votre directeur de cabinet menace l’ancien Premier ministre d’une action en justice s’il ne donnait pas, dans un délai de trois jours, la preuve de ses allégations sur ces 20%. Pensez-vous que le sénateur a répondu à ses attentes ? Sinon, confirmez-vous que vous allez déposer une plainte contre lui pour «injures publiques», «imputations dommageables», «outrages envers les Autorités publiques», «propagation de faux bruits»?
Dans sa dernière lettre, il a été incapable de répondre à la question. Il a ainsi lui-même démontré qu’il avait menti et cette lettre achève le peu de crédibilité qui pouvait encore lui rester. Pour le reste, je ferai rapport de son comportement indigne aux autorités du Sénat. Quant à la justice, oui, je suis en effet en droit de le poursuivre, puisqu’il n’a apporté aucune preuve. En attendant, je pense qu’il est déjà jugé et condamné par sa propre conscience et par l’opinion.

L’ancien Premier ministre se surprend que vous ayez choisi votre Directeur de cabinet pour lui écrire au lieu de lui écrire directement vous-même. Il invoque « les règles administratives élémentaires ». Que lui répondez-vous ?
Le Directeur de cabinet est le premier responsable de l’administration du cabinet. Il a le devoir de réagir quand ce même cabinet est accusé de rançonner les usagers. Il le fait également pour de nombreux cas de dysfonctionnement signalés dans l’administration des finances, notamment à travers l’outil Finalert.

Il se surprend que «celui qui détourne les fonds puisse traduire en justice la victime du détournement» et se demande sur ce «type de gouvernance».
Que lui dites-vous ?
Qu’il aille revoir ses notions de finances publiques au lieu d’accuser grossièrement les gens juste pour faire le buzz et essayer d’exister politiquement. Ce marché lui a été accordé en 2020, à l’époque des ministres José Sele et Élysée Mwinembwe. Vous savez que les allocations budgétaires sont annuelles. Donc il devait être payé par ces ministres-là. C’est un économiste; qu’il soit incapable à faire la différence entre un appui budgétaire et un appui projet est difficile à comprendre. De même qu’il devrait comprendre, en tant qu’ancien ministre des Finances que ne pas exécuter une dépense jugée non conforme n’est pas synonyme de détournement. En fin de compte, à tout considérer, il n’y a rien d’étonnant dans tout ça ; n’oubliez pas que c’est bien lui qui a détourné près d’un milliard de dollars en 2015 et 2016 dans divers projets douteux et foireux, dont Bukanga Lonzo et d’autres, dans le but de mettre l’État en situation de ne pas pouvoir financer la CÉNI, pour obtenir le glissement du calendrier électoral. Vous savez combien de morts cette situation a engendré dans le pays.

Quand il dit que ces fonds de la BAD – la Banque Africaine de Développement – ont été détournés ou que vous utilisez « les ressources de la BAD comme arme de guerre contre un opposant », comment réagissez-vous?
Ridicule ! Et d’ailleurs, pour moi ce débat purement budgétaire est clos depuis longtemps.

Excellence Monsieur le Ministre des Finances et de l’Économie, que reprochez-vous exactement à ce dossier de Congo Challenge, entreprise créée au départ du Premier ministre Matata de l’Hôtel du Conseil en faisant signer divers contrats par les siens à titre de reconnaissance ?
Je l’ai déjà clairement expliqué dans ma lettre du 28 décembre adressée à Congo Challenge.
D’une part, les études sont vides et inutilisables. S’agissant de l’étude sur la mobilisation des recettes, les avis des trois régies financières et des différents experts du ministère ont été cinglants. D’autre part, la procédure pour leur validation et paiement n’a pas été respectée. Et je me réserve de parler des conditions d’attribution de ce marché comme vous l’avez si bien pointé du doigt. Sous d’autres cieux on parlerait d’abus de biens sociaux.

Quel type de relations aviez-vous eu hier avec l’ancien Premier ministre ?
Comme je vous ai dit, nous étions des collègues et de bons camarades. Nous nous connaissons bien, tant personnellement que professionnellement. Et ceux qui ont évolué avec nous à la BCC nous connaissent également bien. Ils doivent certainement avoir une bonne compréhension de ce qui se passe.

Propos recueillis par
T. MATOTU.

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