Si celui qui a le doigt sur le bouton nucléaire peut être arrêté, à quoi sert la puissance ?
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1579|LUNDI 3 AVRIL 2023.
Où va le monde ? La notion de puissance, mieux celle de super puissance, a-t-elle cessé d’être face à la justice humaine et avec le conflit en Ukraine ? À supposer qu’en attaquant un pays d’Europe, Vladimir Poutine ait commis un crime quand le dirigeant russe dit avoir agi pour la défense de son pays avec les forces de l’OTAN qui se rapprochent dangereusement des frontières russes, n’a-t-il pas le doigt sur le bouton de l’arme nucléaire qui ferait raisonner et courber le monde ?
En lançant le 17 mars 2023 un mandat d’arrêt international contre le dirigeant russe, la CPI, a fait du président russe un homme recherché. Il réfléchirait par deux fois avant de franchir les frontières de son pays. Le mandat d’arrêt fait de lui un paria international. Il rendra ses déplacements difficiles en particulier dans les pays membres de la CPI tenus en principe d’arrêter toute personne mise en accusation par la Cour même si, à ce jour, l’ancien président soudain Omar el-Béchir n’a jamais été arrêté nulle part.
Le tribunal qui accuse Poutine d’être responsable de crimes de guerre, de déportation illégale d’enfants d’Ukraine vers la Russie, crimes commis en Ukraine à partir du 24 février 2022, date à laquelle la Russie a lancé son invasion à grande échelle, n’ouvre-t-il pas un changement de paradigme ?
Dans sa déclaration, la CPI indique qu’elle avait des motifs raisonnables de croire que M. Poutine avait commis les actes criminels directement ou en collaboration avec d’autres personnes. Elle déclare que M. Poutine n’avait pas fait usage de ses pouvoirs présidentiels pour mettre fin à l’expulsion d’enfants.
La commissaire russe aux droits de l’enfant, Maria Lvova-Belova, est également recherchée par la CPI pour les mêmes faits.
Maria Lvova-Belova avait ouvertement parlé des efforts déployés pour endoctriner les enfants ukrainiens emmenés en Russie. En septembre dernier, elle s’était plainte que certains enfants emmenés de la ville de Mariupol «parlaient mal du (président russe), disaient des choses horribles et chantaient l’hymne ukrainien».
«UN SIGNAL TRES FORT».
Maria Lvova-Belova a également affirmé avoir adopté un garçon de 15 ans originaire de Marioupol. Mais Moscou nie ces allégations et qualifié les mandats d’arrêt de « scandaleux ».
L’ONG américaine Human Rights Watch a déclaré que les mandats « envoient un message clair : donner l’ordre de commettre ou tolérer des crimes graves contre des civils peut conduire à une cellule de prison à La Haye ». Le président américain démocrate Joe Biden estime que le mandat d’arrêt émis par la CPI contre Poutine pour crime de guerre est « justifié ».
Joe Biden s’exprimait devant des journalistes à la Maison Blanche. Il a rappelé que l’institution n’était pas reconnue par les États-Unis, estimant cependant que sa décision envoyait néanmoins « un signal très fort ». Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, salue une décision « historique qui marque le début d’une responsabilité historique ».
Il n’y a pas que les États-Unis qui ne reconnaissent pas la CPI, n’en sont donc pas membres, estiment que cette justice ne peut poursuivre un soldat américain pour des crimes de guerre (et, par ricochet, aucun ressortissant américain ?).
La Russie, elle aussi, n’est pas membre de la CPI et, nul ne s’attend, que des suspects russes soient livrés à la justice internationale. Moscou a rejeté ce mandat d’arrêt qui n’a aucune valeur juridique pour la Russie. «La Russie, comme un certain nombre d’États, ne reconnaît pas la compétence de ce tribunal, par conséquent, du point de vue de la loi, les décisions de ce tribunal sont nulles et non avenues», a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. L’idée même d’une arrestation de Vladimir Poutine était « scandaleuse et inacceptable ». La porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova évoque une décision de la CPI « dénuée de sens », «y compris d’un point de vue juridique».
Si Poutine pourrait ne pas se rendre dans un pays membre de la CPI, dès le lendemain de l’annonce de ce mandat d’arrêt, il a défié ce tribunal et, du coup, l’Occident dont cette justice dépend. Samedi 18 mars, le président russe s’est rendu en Crimée, neuf ans, jour pour jour après l’annexion par la Russie en 2014 de la péninsule, toujours revendiquée par chaque camp, a annoncé la télévision publique russe. En déplacement surprise à Sébastopol, port d’attache de la Flotte russe de la mer Noire en Crimée, Poutine a notamment visité une école des arts en compagnie du gouverneur local, Mikhaïl Razvojaïev, selon les images diffusées par la chaîne de télévision Rossia-1.
Et, comme si cela ne suffisait pas, le lendemain 19 mars en début de journée, le maître du Kremlin a posé pied à Marioupol. C’est la première fois que le président russe se rendait dans une zone conquise depuis le début, en février 2022, de l’offensive en Ukraine. Deux visites importantes, hautement symboliques.
À Marioupol, dans le Donbass disputé, Vladimir Poutine s’est rendu en hélicoptère dans la ville, selon Moscou, avant de parcourir ses rues en voiture. Des images ont été diffusées : elles montrent le président russe conduisant lui-même le véhicule. Toujours selon le service de presse du Kremlin, le chef d’État aurait ensuite parlé à des habitants de la ville et se serait fait présenter un rapport sur les travaux de reconstruction de Marioupol. Des images montrent le président russe et le vice-Premier ministre Marat Khousnoulline dans le théâtre de Marioupol, le 19 mars 2023. Les autorités ukrainiennes de la ville ont fustigé la visite du « criminel international ». Le choix de Marioupol pour cette visite ne doit rien au hasard : depuis la chute de Kherson, il s’agit de la principale ville conquise et conservée par la Russie depuis qu’elle est entrée en guerre. Moscou veut en faire une vitrine de son occupation, avec des plans ambitieux de reconstruction et de développement.
Face à cette évolution imprévue, quelle attitude va prendre réagir une partie du monde, dont la Chine en premier ? Xi Jinping a annoncé une visite à Moscou du 20 au 22 mars pour y rencontrer son homologue russe. Les deux pays vont discuter, à cette occasion, sur fond de crise avec les Occidentaux, de « l’approfondissement de leur coopération stratégique ». C’est la première visite d’État de Xi Jinping en Russie en près de quatre ans. La Chine se présente pour l’essentiel comme partie neutre dans le conflit en Ukraine tout en renforçant ses liens avec Moscou. Les deux pays vont signer « une déclaration commune (…) sur l’approfondissement des relations de partenariat exhaustif et de relation stratégique entrant dans une nouvelle ère », a déclaré le conseiller diplomatique du Kremlin, Iouri Ouchakov, cité par les agences de presse russes. « À l’invitation du président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine, le président Xi Jinping effectuera une visite d’État en Russie du 20 au 22 mars», a annoncé vendredi dans un communiqué le ministère chinois des Affaires étrangères. Xi Jinping « aura un échange de vues approfondi avec le président Poutine sur les relations bilatérales et les grandes questions internationales et régionales d’intérêt commun », a précisé, lors d’un point presse, un porte-parole de la diplomatie chinoise, Wang Wenbin. Lundi, « ce sera une conversation en tête-à-tête, il y aura un déjeuner informel. Et dès le (mardi) 21 mars, se tiendra une journée de négociations », a déclaré le porte-parole de la présidence russe Dmitri Peskov, interrogé sur le programme de la rencontre.
QU’EN PENSE L’AFRIQUE ?
Le Kremlin a salué la « retenue » de la Chine sur le conflit en Ukraine. « Bien entendu, le conflit en Ukraine fera partie des discussions. Nous apprécions grandement la position pleine de retenue et d’équilibre des dirigeants chinois sur cette question », a déclaré Iouri Ouchakov, cité par les agences de presse russes. Lors des Jeux olympiques d’hiver à Pékin, les deux dirigeants avaient proclamé leur amitié « sans limite ». Les États-Unis ont dénoncé de leur côté l’appel émis par la Chine à un cessez-le-feu en Ukraine, considérant qu’il revenait à consolider les avancées russes et donnait au Kremlin une chance de préparer une nouvelle offensive, selon un porte-parole de la Maison Blanche. « Nous ne soutenons pas les appels à un cessez-le-feu pour l’heure », a déclaré le porte-parole du Conseil de sécurité nationale, John Kirby.
Il y a aussi le reste du monde, l’Afrique qui de plus en plus pèse. Qu’en pense-t-elle ?
Fin février à Bangalore en Inde en marge du sommet G20 Finances, les ministres des Finances n’étaient pas parvenus à signer un communiqué commun devant apporter des solutions aux défis posés par l’économie mondiale, la faute à un désaccord sur un passage sur l’Ukraine.
Le ministre sud-africain des Finances Enoech Godongwana, a donné son point de vue : «je pense que le principal point d’achoppement a toujours été, à chaque rencontre, la question de la formulation de la situation entre l’Ukraine et la Russie. Le président a trouvé la meilleure façon d’aborder cette question, en reconnaissant que la majorité des pays aient leur position et les différences avec les autres pays ».
« L’Afrique du Sud a adopté une position ferme de non-alignement. En fait, une position en faveur d’un règlement négocié. Ainsi, les forces de défense affirment que cet événement a été planifié il y a longtemps, avant même la guerre ».
« Notre relation avec la Russie et notre amitié sont en place depuis longtemps et cette relation existe toujours. Cela signifie-t-il nécessairement qu’en agissant ainsi, nous soutenons la guerre ? Je dirais que non. Ce sur quoi nous sommes en désaccord avec les autres nations n’est pas que la Russie ait eu raison ou non. Ce sur quoi nous sommes en désaccord, c’est la réponse proposée ».
Des militants pro-Kremlin ont protesté à Moscou devant les ambassades de vingt pays, dont les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, considérés comme «inamicaux», à l’occasion du neuvième anniversaire de l’annexion de la Crimée, selon un mouvement de jeunesse «Molodaïa gvardia» («La Jeune Garde»). Ces pays « soutiennent l’Ukraine (…) et livrent de manière active des armes létales au régime ukrainien», a expliqué «Molodaïa gvardia».
avec AGENCES.