Jules Aligente Key et l’IGF travaillent « à repousser les limites de la corruption au Congo »
LE SOFT INTERNATIONAL (EDITION PAPIER NR 1536 DATEE LUNDI 18 OCTOBRE 2021.
Découvert et salué à l’échelle internationale pour ses incontestables résultats, l’Inspecteur Général des Finances-Chef de Service Jules Alingete Key est sollicité par les médias internationaux. Ci-après, un entretien qu’il vient d’accorder à la Voix de l’Amérique, VOA, avec le journaliste Marius Muhunga qui l’interrogeait depuis Washington DC, à dix jours de l’ouverture annoncée, par le parquet général près la Cour constitutionnelle, du procès du parc industriel de Bukanga Lonzo.
Vous avez entamé ce travail en juillet 2020. Quelle est la mission de l’IGF en République Démocratique du Congo ?
L’Inspection Générale des Finances est un service public relevant de l’autorité directe du Chef de l’Etat, créé le 15 septembre 1987. Il a mission de veiller à la bonne exécution des lois et règlements en matière des Finances publiques. Il procède au contrôle des finances publiques du Gouvernement central, celles des provinces ainsi que celles des entreprises relevant du portefeuille de l’Etat. L’IGF fait le contrôle de tout ce qui est finances et biens publics de l’Etat, finances et biens publics relevant des provinces et des entités locales. Nous contrôlons la gestion des entreprises du portefeuille de l’Etat.
C’est une Institution qui existe depuis longtemps. Pourquoi en parle-t-on plus aujourd’hui qu’avant, depuis votre nomination en juillet 2020 par le Président de la République ?
Vers les années 88, pour la petite histoire, l’Inspection Générale des Finances a fait parler d’elle avec l’Inspecteur Général Kazumba Laula. Puis, elle a connu une longue période de léthargie. Avec l’avènement de Son Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’État, qui a appuyé l’Inspection générale des Finances, qui a laissé les mains libres à ce service afin qu’il fasse le contrôle, et qui a mis la lutte contre l’impunité dans son programme, l’Inspection Générale des Finances a repris du poil de la bête. Cela s’explique par la volonté politique qui existe dans ce pays, qui consiste à mettre fin à des faits de corruption, de malversations et de détournement des deniers publics.
Pouvez nous dire avec précision, depuis que vous êtes à la tête de l’IGF, combien avez-vous déjà retourné aux comptes de l’Etat ?
Notre travail n’est pas seulement de retourner l’argent aux comptes de l’État. Outre le fait que nous contrôlons la dépense publique dans toute sa dimension, nous encadrons les régies financières pour mobiliser les recettes publiques. Aujourd’hui, l’augmentation des recettes publiques que les finances publiques congolaises viennent d’enregistrer est aussi le fait des efforts de l’Inspection Générale des Finances. Je dis « aussi » parce que c’est un travail d’ensemble. Sur la récupération des fonds, il y a une semaine, nous avons récupéré 1,5 million de $US au ministère de l’Agriculture, des fonds presque détournés. Il y a deux ou trois semaines, nous avons récupéré plus d’un million de $US à la FECOFA (Fédération congolaise de football, ndlr), des fonds déjà détournés. Il y a plus de deux mois, nous avons fait retourner plus de 16 millions de $US destinés à la paie de l’organisation d’un test national des élèves. Nous avons réussi à retourner la TVA aux comptes de l’État, des fonds détournés par une entreprise espagnole venue dans le cadre du projet Bukanga Lonzo (le parc agro-industriel, ndlr). Il y a beaucoup de choses que nous faisons. Aujourd’hui, nous arrivons à retourner l’argent au Compte Général du Trésor public. Nous arrivons à contribuer sensiblement à la mobilisation des recettes. Nous tenons à contribuer à l’implémentation de la bonne gouvernance prônée par le Chef de l’État.
Dans un pays où il y a beaucoup de corruption, quelles méthodes vous utilisez pour que vos agents ne tombent pas dans des pots de vin ?
Nous travaillons efficacement pour conscientiser nos agents. Nous avons amélioré leurs conditions financières et leurs conditions de travail. Aujourd’hui, nos agents sont dans des meilleures conditions. Nous avons tous les outils de travail et les conditions salariales ont été sensiblement améliorées. Mais au-delà de tout ça, nous tenons chaque semaine des séances de sensibilisation des inspecteurs pour que chacun puisse prendre conscience qu’aujourd’hui, nous sommes appelés à jouer un rôle très important dans la lutte contre les anti-valeurs qui ont longtemps gangrené les finances publiques congolaises.
Vos agents sont tellement bien payés qu’ils résistent devant la corruption?
Résister aux faits de corruption n’est pas le fait d’être bien payé. Il y a des gens qui ont beaucoup d’argent mais qui sont des corrompus. C’est d’abord un état d’esprit. Il faut travailler avec les agents et leur faire comprendre les méfaits de la corruption dans une société car nous sommes tous victimes de cette corruption. Tout ce que nous vivons comme misère autour de nous, l’avenir du pays, l’avenir de nos enfants qui se trouve être compromis, c’est le fait de la corruption. Ce n’est pas quand on a de l’argent qu’on peut résister à la corruption mais quand on a compris les méfaits de la corruption et ses conséquences, là, on peut dire non. Donc, nous travaillons sur ce volet pour que les inspecteurs comprennent que nous devons dire non à la corruption. Nous devons aider notre pays à aller de l’avant au lieu de rester toujours parmi les pays les plus corrompus. Nous faisons un effort pour que les inspecteurs comprennent ça. Au-delà de ça, il faut des moyens. Quelqu’un qui est complètement dépourvu de moyens ne peut résister face à la corruption. Voilà, nous travaillons sur tous ces tableaux…
Certains vous accusent d’être un instrument utilisé par le pouvoir contre l’opposition. Que leur répondriez-vous ?
Je vais être direct parce qu’aujourd’hui, l’opinion a commencé à changer sur cet aspect. Au début, cela était tout à fait normal quand nous sommes arrivés et que nous avons trouvé dans les entreprises du portefeuille de l’Etat, des gens qui relevaient de l’ancien régime. Le Gouvernement qui était en place était composé de membres appartenant au nouveau et à l’ancien régimes. Et les gens ont eu l’impression que nous étions en train de faire la chasse aux membres de l’ancien régime. Aujourd’hui, nous avons un Gouvernement appelé de l’Union Sacrée composé essentiellement de membres de la majorité au pouvoir et des mandataires qui relèvent de la majorité au pouvoir. Aujourd’hui, les gens doivent comprendre que nous ne sommes pas là pour la chasse des membres de l’ancien régime. Depuis trois mois, nous avons déjà des problèmes avec beaucoup de membres du Gouvernement de l’Union sacrée. Je vous ai parlé des ministères des Sports, de l’Agriculture, de la Formation Professionnelle. Ceux-là ne sont pas de l’opposition mais ils ont des sérieux problèmes avec l’Inspection Générale des Finances. Nous avons récupéré des fonds qui étaient en train d’être détournés avec l’opération que nous avons mise en place sur instruction du Chef de l’Etat.
Sur Augustin Matata Ponyo, l’ancien Premier ministre. Son camp parle d’une poursuite qui peut s’apparenter à une poursuite politique…
Non ! Je vais vous dire sincèrement aujourd’hui que moi, je comprends la stratégie des personnes qui sont mises en cause par l’Inspection Générale des Finances qui cherchent des voies de sortie en évoquant des choses qui n’ont pas de sens. Comment parler de poursuite politique quand au départ, c’est lui-même qui a écrit à l’Inspection Générale des Finances pour demander qu’elle puisse faire l’audit de Bukanga Lonzo. Ce n’est pas le pouvoir politique, ni le Chef de l’Etat, ni le Chef du Gouvernement qui a demandé. C’est lui-même. Nous avons une lettre. Il nous a écrit pour que nous puissions faire l’état de la situation de Bukanga Lonzo parce qu’il estimait que plusieurs fois son nom avait été cité abusivement. Nous avons fait le travail, en âme et conscience et nous lui avons rendu les conclusions en lui disant qu’il est fortement impliqué dans cette affaire. Voilà comment c’est parti… Moi je ne trouve aucun problème politique. Il faudra que les politiciens congolais comprennent qu’il y a infractions politiques et infractions de droit commun. Chez nous, au Congo, quand un politicien fait un accident sur la voie publique et qu’on lui dit qu’il y a mort d’homme – homicide involontaire -, il le transforme en une infraction politique. Il y a infraction de droit commun quand vous volez l’argent public et que si cela est établi, il ne faut pas parler de politique. C’est du droit commun…
Pourtant, il y a d’autres membres du parti du Président tel l’ancien ministre de la Santé Eteni Longondo impliqué dans une affaire de corruption mais qui n’est pas poursuivi !
Du point de vue de l’Inspection Générale des Finances, il reste impliqué parce que nous l’avons mis en cause dans un rapport. Il y a beaucoup de faits graves de détournements et ce rapport se trouve sur la table du Procureur Général près la Cour de cassation. Donc, c’est au niveau de la Justice qui a eu à l’interpeller. Il a été mis sous mandat d’arrêt provisoire. Il a fait une ou deux semaines à Makala. La Justice l’a libéré provisoirement, ça c’est un problème de la Justice. Le dossier suit son cours normal. Il n’est pas mis hors cause. Pour qu’il le soit, la Justice doit produire une décision de classement sans suite du dossier. Or, il n’a pas cette décision.
Vous avez été en contradiction avec le ministre de l’Enseignement sur la procédure de gestion de l’argent des examens d’Etat. Le ministre, membre de l’Union Sacrée, a-t-il été inquiété ?
Dans le cadre de l’opération que nous appelons « patrouille financière », qui surveille le Compte Général du Trésor, nous suivons toutes les sorties de fonds afin de nous assurer que les bénéficiaires ont rendu des services à l’Etat ou ont vendu des biens à l’Etat pour lesquels ils sont payés. Nous avons vu un paiement qui était en train de sortir pour payer des intervenants à un test des élèves. Nous avons voulu en savoir plus. Nous avons creusé. L’argent n’était pas encore retiré, donc, l’argent n’était pas encore entre les mains du comptable de l’EPST. Nous avons fait bloquer cet argent au niveau du guichet de la Banque Centrale. Nous avons demandé que cet argent ne sorte pas, le temps que nous puissions vérifier. Après toutes les vérifications aujourd’hui à notre niveau, il s’avère que cet argent devrait rentrer au Compte Général du Trésor parce que le soubassement n’était pas probant et il y avait des choses à dire autour de ce dossier. Le ministre des Finances a compris. L’argent est rentré dans le Compte Général du Trésor. C’est le plus important car l’argent était disponibilisé au guichet de la Banque Centrale.
Dans vos attributions, pouvez-vous inspecter la Présidence de la République ?
Nous contrôlons le comptable affecté à la Présidence de la République parce que c’est un comptable public comme les comptables des ministères ou de certains services. Ce comptable reçoit des fonds publics pour qu’ils soient utilisés par la Présidence.
S’il y a des noms cités à la Présidence pour détournement, vous allez les traduire en justice ?
Contrairement à ce que d’aucuns pensent, la volonté politique que nous voyons – celle de mettre fin à l’impunité et aux détournements – est manifeste. Par exemple, nous avons été saisis par la Présidence de la République pour faire un audit sur ses effectifs, sur tous les contrats qui lient la Présidence. Nous allons conclure dans une semaine.
Qu’est-ce que vous y avez trouvé ?
Il y a eu des problèmes tels avec les effectifs payés sans acte réglementaire et des contrats de service, de prestation…
Et ça s’arrêtera là pour la Présidence?
Il y a une différence entre l’audit et le contrôle. Ici, c’est la Présidence qui va prendre des mesures correctives face à ce problème de personnel ou ces contrats…
Qup’espérez-vous sur la corruption et la gestion des fonds publics au Congo?
Il n’existe dans aucun pays de corruption zéro. Mais nous, au Congo, nous ne voulons plus être cité comme le pays le plus corrompu. Nous espérons sensiblement repousser les lignes de la corruption, de malversations et de détournement.
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